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25/04/2014

Jean XXIII et le Latin

Par Alfred Denoyelle

L'auteur est Docteur en Histoire, promu à la Katholieke Universiteit Leuven. Médiéviste de formation, il s'est spécialisé en Histoire des mentalités dans la "longue durée" et s'intéresse - notamment - aux rapports entre le monde de la politique et le domaine religieux. Il a écrit de nombreux articles de vulgarisation scientifique, est président de la Fondation culturelle européenne et secrétaire-général du Cercle européen pour la recherche historique.


Jean XXIII et le Latin

Affirmation :

* A l'occasion de la béatification de Jean XXIII, les media se sont faits l'écho du même refrain qui constitue une ânerie autant qu'une honte pour la déontologie des journalistes (qui, tout comme les historiens, doivent fonder leurs informations sur des documents et des faits dûment établis) :

« En 1963, Jean XXIII ouvrit l'Église à la modernité
en supprimant le Latin dans la liturgie ! »
(sic)

Réfutation :

En réalité, le 22 février 1962, Jean XXIII promulgua la Constitution apostolique Veterum Sapientia par laquelle il insistait avec autorité afin que le Latin soit maintenu, aussi bien dans le culte divin que pour les études, spécialement ecclésiastiques. A la fin de ce document historique en faveur du Latin à utiliser pour l'enseignement et dans la liturgie, Jean XXIII précisait :

« Nous voulons et ordonnons, de par Notre autorité apostolique,
que tout ce que Nous avons établi, décrété, publié
et ordonné dans cette Constitution
reste définitivement ferme et arrêté,
nonobstant toutes choses contraires,
même dignes de mention particulière. »

A aucun moment, Jean XXIII n'est revenu sur cette solennelle et impérative décision : il décéda le 3 juin 1963 et le concile convoqué n'avait pas publié de dispositions contraires.

Ensuite Paul VI, élu le 21 juin 1963, continua le concile « Vatican II » mais celui-ci ne supprima pas davantage le Latin, ni pour les études, ni pour le culte divin.

Les media ont donc raconté le contraire de la vérité, manifestement sans vérifier dans les Actes de Jean XXIII. Il serait intéressant de savoir à quelle source (épiscopale ? universitaire ?) ils ont puisé leur contre-vérité.

Références de la réfutation :

* Jean XXIII, Constitution apostolique Veterum Sapientia,
in
Acta Apostolicae Sedis LIV (1962),pp.129-135.

* Vatican II, Constitution sur la liturgie,
in
Acta Apostolicae Sedis LVI (1964), pp.97-138.

À ce propos:

Voici quelques textes (original latin et version française) dont beaucoup prennent certes le contrepied, mais qui constituent néanmoins les normes officielles en la matière, conciliairement actées :

* Constitution sur la liturgie, art. 36 :

« Linguae latinae usus, salvo particulari iure,
in ritibus latinis servetur. »

(Que l'usage de la langue latine, sauf droit particulier,
soit observé dans les rites latins.)

* Constitution sur la liturgie, art. 54 :

« Provideatur tamen ut Christifideles etiam lingua latina
partes Ordinarii Missae, quae ad ipsos spectant,
possint simul dicere vel cantare. »

(Qu'il soit cependant pourvu à ce que les fidèles
puissent dire ou chanter ensemble en langue latine aussi
les parties de l'Ordinaire de la Messe qui leur reviennent.)

* Constitution sur la liturgie, art. 101 :

« Iuxta saecularem traditionem ritus latini,
in officio divino lingua latina clericis servanda est. »

(Selon la tradition séculaire du rite latin,
la langue latine doit être gardée dans l'office divin pour les clercs.)

*Constitution sur la liturgie, art. 116 :

« Ecclesia cantum gregorianum agnoscit ut liturgiae romanae proprium :
qui ideo in actionibus liturgicis, ceteris paribus, principem locum obtineat. »

(L'Église reconnaît le chant grégorien comme propre à la liturgie romaine :
qu'il obtienne donc la première place dans les actions liturgiques,
les autres étant pareilles.)

D'autres stipulations de la même Constitution prévoient - il est vrai - l'usage de la langue vulgaire dans la liturgie, mais jamais au point de l'ériger en règle, ni de faire du Latin une exception et encore moins de le supprimer du culte comme cela se fait presque partout avec « Vatican II » comme justification alléguée pour ce renversement de perspective.

Cette référence à contresens, qui oriente donc à tort la vie paroissiale et désoriente spécialement les fidèles qui savent lire, avait pourtant été résolument écartée comme interprétation erronée dans le commentaire officiel de la Constitution sur la liturgie :

« Voluimus ita loqui ut illi, qui desiderant totam Missam latina lingua celebrare, opinionem suam aliis non imponant ;
et similiter, qui in quibusdam Missae partibus lingua vernacula uti volunt, ad suam praxim priores non coerceant...
Nemini ergo porta clauditur ut, si velit, totam Missam latina lingua celebret ;
et nemini clauditur porta ut in quibusdam partibus Missae vernaculam linguam adhibeat. »

(Nous avons voulu parler ainsi afin que ceux
qui désirent célébrer toute la Messe en langue latine
n'imposent pas leur opinion aux autres ;
et de façon semblable, afin que ceux qui veulent
faire usage de la langue vulgaire dans certaines parties de la Messe ne contraignent pas les premiers à leur pratique...
A personne la porte n'est donc fermée pour célébrer, s'il le veut, toute la Messe en langue latine ;
et à personne n'est fermée la porte pour employer
la langue vulgaire dans certaines parties de la Messe.)

De nos jours, la liturgie est donc organisée à l'encontre des stipulations du Concile dont les décisions invoquées sont manifestement méconnues.

En dépit de la Constitution sur la liturgie et de son commentaire officiel qui donnent la priorité au Latin et au chant grégorien dans les célébrations, ceux qui veulent faire usage de la langue vulgaire contraignent les autres à leur pratique.

De plus, ils ne se contentent pas d'employer la langue vulgaire dans certaines parties de la Messe (in quibusdam Missae partibus) : ils lui donnent la priorité dans leurs célébrations ou étendent même leur intolérance pour le Latin et le chant grégorien au culte dans son ensemble en faisant exclusivement usage de la langue vulgaire.

Les textes et les faits sont là, incontournables.

Le constater n'est absolument pas faire preuve d'intégrisme, mais seulement d'intégrité : c'est attirer l'attention sur la valeur normative de la parole écrite des hiérarques réunis en concile oecuménique.

C'est dès lors aussi faire valoir le devoir de fidélité à ces prescrits, naguère votés et signés par 2147 évêques et promulgués le 4 décembre 1963.

C'est donc, par la même occasion, récuser la légitimité d'une inversion de la perspective de cette Constitution sur la liturgie par ceux qui, aujourd'hui comme hier, l'invoquent abusivement, à contresens du texte promulgué.

Pour les autres pratiques, dont il n'était même pas question dans les textes conciliaires, l'honnêteté de la méthode, consistant à s'en prévaloir et à s'y référer néanmoins comme à des prescrits formellement actés, n'est évidemment pas davantage établie.

 

Source : Alfred Denoyelle

 

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