Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/03/2015

"Ce qu'on ne peut pas demander à l'homme, c'est un peu d'espérance" Péguy

Je connais bien l'homme c'est moi qui l'ai fait. C'est un drôle d'être.
C'est un drôle d'être.
Car en lui joue cette liberté qui est le mystère des mystères.
On peut encore lui demander beaucoup, il n'est pas trop mauvais. Il ne faut pas dire qu'il est mauvais.
Quand on sait le prendre, on peut lui demander beaucoup. Lui faire rendre beaucoup et Dieu sait si ma grâce sait le prendre. Si avec ma grâce je sais le prendre. Je sais le prendre si ma grâce insidieuse, habile comme un voleur. Et comme un homme qui chasse le renard.
Je sais le prendre. C'est mon métier. Et cette liberté même est ma création.
On peut lui demander beaucoup de coeur, beaucoup de charité, beaucoup de sacrifices.
Il a beaucoup de foi et beaucoup de charité.

Mais ce qu'on ne peut pas lui demander, sacrédié, c'est un peu d'espérance.
Un peu de confiance, quoi, un peu de détente.
Un peu de remise, un peu d'abandonnement dans mes mains.
Un peu de désistement. Il se raidit tout le temps.
Or toi, ma fille la nuit, tu réussis, quelquefois, tu obtiens quelquefois cela

De l'homme rebelle.220px-Charles_peguy.jpg
Qu'il consente, ce monsieur, qu'il se rende un peu à moi.
Qu'il détente, un peu ses pauvres membres, las sur un lit de repos.
Qu'il détende un peu sur un lit de repos, son cœur endolori.
Que sa tête surtout ne marche plus. Elle ne marche que trop, sa tête. Et il croit que c'est du travail que sa tête marche comme ça.
Et ses pensées, non, pour ce qu'il appelle ses pensées !
Que ses idées ne marchent plus et ne se battent plus dans sa tête et ne grelottent plus comme des grains de calebasse,
Comme un grelot dans une courge vide.
Quand on voit ce que c'est, ce qu'il appelle ses idées !
Pauvre être, je n'aime pas, dit Dieu, l'homme qui ne dort pas,
Celui qui brûle, dans son lit, d'inquiétude et de fièvre.

Je suis partisan, dit Dieu, que tous les soirs on fasse son examen de conscience.
C'est un bon exercice.
Mais enfin, il ne faut pas se torturer au point d'en perdre le sommeil.
A cette heure-là, la journée est faite et bien faite ;
Il n'y a plus à la refaire,
Il n'y a plus à y revenir.
Ces péchés qui vous font tant de peine, mon garçon, eh bien, c'était bien simple,
Mon ami, il ne fallait pas les commettre,
A l'heure où tu pouvais encore ne pas les commettre. A présent, c'est fait, va, dors, demain tu ne recommenceras plus.
Mais celui qui le soir, en se couchant, fait des plans pour le lendemain,
celui-là, je ne l'aime pas, dit Dieu.

Timbre-Charles-Pe%CC%81guy-et-la-cathe%CC%81drale-de-Chartres.jpgLe sot, est-ce qu'il sait seulement comment demain sera fait ?
Est-ce qu'il connaît seulement la couleur du temps ?
Il ferait mieux de faire sa prière.
Je n'ai jamais refusé le pain du lendemain.
Celui qui est dans ma main comme le bâton dans la main du voyageur,
Celui-là m'est agréable, dit Dieu.
Celui qui est posé dans mon bras comme un nourrisson qui rit,
et qui ne s'occupe de rien,
et qui voit le monde dans les yeux de sa mère et de sa nourrice,
et qui ne le voit et ne le regarde que là,
celui-là m'est agréable, dit Dieu.
Mais celui qui a fait des combinaisons, celui qui en lui-même pour demain dans sa tête
travaille comme un mercenaire,
travaille affreusement comme un esclave qui tourne une roue éternelle,
(Et entre nous, comme un imbécile),
Eh bien, celui-là ne m'est pas agréable du tout, dit Dieu.
Celui qui s'abandonne, je l'aime. Celui qui ne s'abandonne pas, je ne l'aime pas, c'est pourtant simple.
Celui qui s'abandonne ne s'abandonne pas et il est le seul qui ne s'abandonne pas.
Celui qui ne s'abandonne pas, s'abandonne et il est le seul qui s'abandonne pas.
Or toi, ma fille la nuit, ma fille au grand manteau, ma fille au manteau d'argent,
Tu es la seule qui vainc quelquefois ce rebelle et qui fait plier cette nuque dure.

Péguy, Ch. Le Mystère des Saints Innocents. Paris : Gallimard. 1929. p.22-24.

Les commentaires sont fermés.