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Les Serviteurs de Jésus et de Marie : donner la foi aux jeunes

Entretien

Père Laurent-Marie Pocquet

La Nef N°258 d'avril 2014

Fondés en 1930 par le Père Lamy, les Serviteurs de Jésus et de Marie [à ne pas confondre avec les Serviteurs de Jésus et Marie ou "Servi Jesu et Mariae" - NdEspN] ont leur maison mère à l’abbaye d’Ourscamp, dans l’Oise. Son nouveau Supérieur général, élu en août dernier, le Père Laurent-Marie, collaborateur occasionnel et ami de La Nef, présente pour nous sa congrégation.

La Nef – Que sont les Serviteurs de Jésus et de Marie (SJM), pourriez-vous nous retracer rapidement leur histoire ?
Père Laurent-Marie Pocquet du Haut Jussé –
Les SJM ont été fondés en 1930 par le P. Jean-Edouard Lamy, mais cette première fondation dans le diocèse de Tours fut un échec. Le P. Lamy étant lui-même mort en 1931, il avait confié son projet à un laïc, son biographe, le comte Paul Biver. C’est lui qui s’est porté acquéreur de l’abbaye d’Ourscamp dans l’Oise. Durant la Seconde Guerre mondiale, quelques jeunes s’y sont installés. Ce nouveau regroupement a été un temps placé sous l’autorité de l’Abbé général du Saint Ordre de Cîteaux. L’institut a été reconnu par l’évêque de Beauvais comme congrégation apostolique de droit diocésain en 1948. Nous sommes maintenant une trentaine de frères répartis en trois maisons : Ourscamp, le prieuré Saint-Bernard d’Ottmarsheim (Haut-Rhin) et la Casa Padre Lamy en Argentine.


Pourriez-vous nous dire un mot du Père Lamy, votre fondateur ? Où en est son procès de béatification ?
Jean-Edouard Lamy est né en 1853, dans la Haute-Marne. Il entre dans la congrégation des Oblats de Saint François de Sales, fondée à Troyes par le Père Louis Brisson, béatifié en septembre 2012. Il s’occupe alors d’un patronage pour la jeunesse défavorisée tout en se préparant au sacerdoce. En ville on le surnomme « le curé des voyous ». Il est ordonné prêtre le 12 décembre 1886. Lorsque sa congrégation doit quitter la France, il se met au service du diocèse de Paris. D’abord vicaire à Saint-Ouen, il est nommé en 1900 curé de La Courneuve, qui est à l’époque un gros village de maraîchers. Il y reste jusqu’en 1923, développant une activité apostolique tout à fait remarquable et qui fera dire à son archevêque, le Cardinal Amette : « J’ai un deuxième Curé d’Ars dans mon diocèse, le Père Lamy. » Il doit présenter sa démission en 1923 pour raisons de santé et se retire à l’infirmerie Marie-Thérèse, maison de retraite des prêtres du diocèse de Paris. Il fréquente alors le cercle Maritain et exerce une influence spirituelle que beaucoup de contemporains ont reconnue (comme Stanislas Fumet ou Julien Green). Maritain écrira : « Avec des dons surnaturels admirables de sagacité et de bon sens, de sagesse pratique, de finesse exquise, une énergie surnaturelle illuminée par la charité habitait ce pauvre prêtre… Il apportait avec lui cette présence substantielle, pacifique et tendre où la sainteté se fait connaître. » Dès 1909, il reçoit du Ciel l’intuition d’une fondation d’un institut religieux mais il ne se voit pas du tout comme fondateur. Il sollicite en vain plusieurs prêtres pour le suppléer (comme le prince Ghika). Il se décide enfin en 1930, aidé de son grand ami Paul Biver, mais l’expérience ne dure que quelques mois, malgré l’approbation romaine. Il meurt soudainement le 1er décembre 1931.
Nous n’avons pas encore entamé de démarches quant à sa béatification. Cela est une tâche trop lourde pour un petit institut comme le nôtre. Pour l’instant nous cherchons à mettre au propre toutes nos archives concernant le P. Lamy et l’histoire de la congrégation, et il y a déjà fort à faire !

Quelle est votre spécificité en tant qu’ordre religieux et votre spiritualité ?
Notre famille religieuse a comme charisme spécifique l’éducation de la foi des jeunes, à l’école de saint Bernard et de saint François de Sales. Cela passe par de multiples activités d’accueil et de formation chrétienne qui s’adressent aux familles, aux enfants, aux étudiants, aux fiancés, aux jeunes couples… Nous sommes au service des paroisses et des diocèses comme aumônier et directeur de mouvements de jeunes et d’éducation, de patronages ou de camps que nous organisons… Mais le premier témoignage que nous voulons donner est celui d’une vie conventuelle et fraternelle où le service divin, la liturgie, la prière personnelle et communautaire ainsi que l’étude nourrissent profondément notre vie de baptisés et de consacrés.

En ce temps de crise des vocations, où en êtes-vous et d’où viennent les jeunes hommes qui frappent à votre porte ?
Je ne pense pas qu’il y ait parmi nous un profil type de vocation. Certains ont connu la communauté en venant réviser leurs examens à l’abbaye, d’autres parce qu’un prêtre les a orientés vers nous (ce fut mon cas !), d’autres parce qu’ils ont participé à telle ou telle activité que nous organisions, d’autres parce qu’ils nous ont rencontrés à l’occasion d’une mission paroissiale ou dans leur établissement scolaire… Ils ont alors perçu l’appel de consacrer toute leur vie à Dieu dans la vie religieuse apostolique, à la suite du P. Lamy. Le reste, c’est le mystère de l’alliance entre une liberté humaine et la grâce prévenante de Dieu, la fascination qu’exerce la personne du Seigneur Jésus, la joie de participer à l’œuvre de la Rédemption, le choix de prendre chez nous Marie pour Mère et éducatrice spirituelle, comme elle le fut pour notre fondateur tout au long de sa vie. Ceux qui nous rencontrent ou vers qui nous allons notent la dimension mariale de notre existence et c’est ce qui nous frappe tous dans la vie du Père Lamy, sa grande intimité avec la Mère de Dieu, l’expérience de sa présence maternelle et prévenante, la certitude qu’Elle prend soin de ses enfants, de tous ceux qui se confient à son intercession toute-puissante et qui suivent son exemple. Comme beaucoup de familles religieuses françaises, nous connaissons une baisse sensible du nombre des entrées mais nous sommes heureux de compter quelques vocations argentines. Pour nous aussi l’Amérique latine est « le continent de l’espérance » pour reprendre l’expression du bienheureux Jean-Paul II ! La situation en France est aussi une invitation à redoubler de ferveur dans l’accomplissement de notre vocation et de générosité apostolique !

Vous recevez des fidèles pour vos retraites et accompagnez des jeunes : comment percevez-vous la jeunesse actuelle ? Voyez-vous une demande de sa part, un retour vers une certaine foi ?
Votre question m’intimide et m’embarrasse. Il est difficile de vous répondre car nous sommes en lien avec des groupes de jeunes très variés : ceux que nous accueillons pour réviser leurs concours ou leurs examens sont différents de ceux qui viennent préparer leur mariage ou élaborer avec nous une activité apostolique ou caritative, ou que nous emmenons en camp d’été. De plus, depuis des décennies, à la suite de chaque grand événement ayant réuni beaucoup de jeunes (Jubilé, JMJ, Manifs pour tous), les médias catholiques notent l’émergence (enfin !) d’une nouvelle génération plus réaliste, plus militante, plus enracinée, plus réveillée, n’ayant plus de comptes à régler avec les générations précédentes, fatiguée des querelles qu’ont connues leurs parents… Ce dont je suis sûr, c’est qu’il faut travailler à une formation doctrinale, spirituelle et pratique à long terme, faire vraiment œuvre d’éducation de la foi, ce qui n’empêche pas de saisir aussi toutes les occasions d’un témoignage et d’une évangélisation directs (ce que font certains frères sur les marchés et les places !). En tant que religieux, nous témoignons d’abord de la primauté de Dieu et de la vocation surnaturelle de l’homme, vocation qui ne s’épanouit que dans la vie éternelle. J’espère que les jeunes qui nous fréquentent perçoivent, même confusément, cet appel et cette réalité. Les jeunes sont-ils plus accessibles aux grandes questions touchant le sens de l’existence, le désir infini d’être heureux, la présence traumatisante du mal et du péché ? C’est en tout cas à nous de leur permettre de se les poser…

Une partie de cette jeunesse est très engagée dans les mouvements nés autour de la contestation du « mariage pour tous » (cf. les « veilleurs », par exemple) : comment analysez-vous ce phénomène et comment voyez-vous l’avenir alors que la société semble irrémédiablement divisée sur la façon même d’appréhender ce qu’est l’homme ?
La réponse de tous ces jeunes et leur engagement manifestent un sens évident du bien commun de toute une société. On caractérise souvent la jeunesse comme individualiste. Pour tous ces jeunes qui militent et qui témoignent, il n’en est rien. Le pape François vient de nous rappeler dans l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium que la nouvelle évangélisation comporte une dimension sociale fondamentale. Défendre la dignité de la personne humaine, c’est en effet rappeler ce que sont l’homme et la femme, la famille et la société dans le plan de Dieu, c’est rappeler la beauté, la consistance et les exigences de l’ordre de la création. Et cet enseignement est accessible en droit sinon en fait à tout homme de bonne volonté et qui pense sainement. D’où l’exigence de formation qui a surgi comme spontanément suite à tout ce mouvement de société. Et ce ne sont pas les propositions qui manquent aujourd’hui.
Je ne crois pas à un retour du christianisme sans le Christ lui-même. Un discours qui ne reposerait que sur la transmission des valeurs chrétiennes conduit à l’apostasie. C’est le Christ qui révèle à chaque homme sa valeur et sa dignité et lui seul peut nous sauver du désespoir assuré dans lequel nous place irrémédiablement notre condition humaine déchue. Mais il est vrai aussi que la découverte de la beauté et de la grandeur de l’anthropologie chrétienne peut être pour beaucoup l’occasion de découvrir le Christ, sa personne et son œuvre.

Alors que nos sociétés occidentales ont perdu tout repère moral et s’enfoncent dans une crise spirituelle et politique, comment analysez-vous la situation de l’Église
catholique, plus de cinquante ans après l’ouverture du concile Vatican II ?

Le concile s’est voulu une réponse à une situation nouvelle pour l’Église et qui a émergé sous le pontificat de Léon XIII. On peut la résumer en une formule que j’emprunte à Charles Péguy : « Pour la première fois, nos misères ne sont plus chrétiennes. » Autrement dit, l’Église prend conscience qu’elle n’est plus chez elle en Occident, que le clocher n’est plus au centre du village. C’est alors que s’enclenchent des cycles réguliers de « nouvelle évangélisation » (même si le terme est anachronique car l’expression sera employée bien plus tard). À travers les pontificats qui vont se succéder, la tactique peut varier, les méthodes apostoliques se diversifient à l’infini, cependant la stratégie générale et l’objectif final restent les mêmes : reconstruire ou restaurer une chrétienté. En arrière-fond, il y a un problème qui n’est pas résolu : faut-il s’accommoder de la modernité, faut-il la critiquer, faut-il la récuser ? Le concile s’adresse à la fois aux chrétiens pour les enraciner dans la Révélation et le mystère de l’Église, et à tous les hommes. De fait il a eu un retentissement qui va bien au-delà des frontières visibles de l’Église. Cependant les bouleversements culturels intervenus depuis, la fin de l’humanisme triomphant, la chute du communisme, le triomphe du libéralisme financier, toutes les formes de manipulations mentales et d’idéologies molles et contraignantes, bref, « la mort de l’homme » pour reprendre l’expression et les analyses de Michel Foucault, nous offre l’occasion de présenter le mystère de la foi comme une contestation positive et intelligente face au gouffre ouvert par la postmodernité.
Pour ce qui est de l’Église elle-même, elle a pris de plein fouet cette remise en cause fondamentale. S’en sort-elle mieux que les autres institutions ? D’un point de vue surnaturel, on peut effectivement considérer que les sacrements continuent à être célébrés, la grâce du salut communiquée, les mystères de la foi enseignés… mais tout cela dans un climat d’indifférence assez général. C’est pour moi une grande question : alors que nous avons appris que tout homme est porté par un désir surnaturel, qu’il a été créé par Dieu en grâce, nous constatons chez beaucoup un désintérêt total et non feint pour ce qui fait le cœur de notre vie. Bernanos le constatait bien avant le concile : « Les gens ont fait à l’égard du surnaturel le serment des temps de peste. Y penser le moins possible, n’en parler jamais ! »

Comment analysez-vous en particulier la succession de papes aussi différents que Jean-Paul II, Benoît XVI et François ?
La raison de cette succession appartient à Dieu lui-même et ne se révélera à nous que dans très longtemps ! D’ailleurs notre fidélité au Siège de Rome est une réalité de foi avant d’être un attachement affectif à la personnalité de celui qui l’occupe. Le successeur de Pierre a pour mission de confirmer ses frères dans la foi, de veiller à l’unité doctrinale, d’enseigner et de gouverner. C’est ainsi qu’il est le Pasteur universel des fidèles du Christ. Autrement dit, les aspects institutionnels de l’Église sont au service de la sainteté de chacun des chrétiens et de la mission universelle. De même que dans une congrégation religieuse, les organes de gouvernement et de consultation doivent régulièrement examiner les moyens à mettre en œuvre et les réformes à opérer pour que l’institut et chacun de ses membres puissent répondre à leur vocation, de même il y a sans doute aujourd’hui l’attente d’une réforme des institutions centrales de l’Église, essentiellement la Curie romaine, pour que celle-ci puisse améliorer le service qu’elle rend au pape et donc à toute l’Église.

Vous célébrez vous-même la messe en forme extraordinaire en réponse aux demandes après le Motu proprio de Benoît XVI : pourquoi et qu’est-ce que cela a changé dans votre approche de la question liturgique ? Là aussi, comment voyez-vous l’avenir, et notamment la cohabitation des deux formes du même rite latin ?
Le fait que la réforme liturgique soit ressentie par la grande majorité, voire par la quasi-unanimité des fidèles, comme une rupture, soit pour s’en réjouir, soit pour le déplorer, constitue en soi un échec du renouveau voulu par les Pères du concile et par les papes successifs. Toutes les raisons données par le Motu proprio Summorum pontificum représentent un témoignage impressionnant d’authentique charité pastorale et de sens de la foi. De charité pastorale, parce qu’étaient reconnus les droits et la dignité d’un courant spirituel important dans l’Église et qui, jusqu’ici, avait été traité avec un mépris condescendant insupportable. Sens de la foi, parce que dans la transmission de celle-ci, il ne peut y avoir de rupture. Le fait que le pape actuel est certainement moins sensible, de par son histoire et sa physionomie spirituelle, à ces questions devrait justement pousser les fidèles Ecclesia Dei, et beaucoup le font déjà, à montrer qu’ils sont aux premières lignes de la nouvelle évangélisation, de la générosité missionnaire, de l’approfondissement doctrinal, de la transmission de la foi, de l’éducation catholique. Quant à la cohabitation entre les deux formes du rite, elle se vit très bien chez de nombreux prêtres dont je suis… par ailleurs, je suis sûr que la forma normativa que représente le missel de 1962 aura une influence bénéfique sur l’ars celebrandi de la forme ordinaire !

Propos recueillis par Christophe Geffroy

Abbaye d’Ourscamp, 60138 Chiry Ourscamp.
Tél. : 03 44 75 72 00. Site : www.serviteurs.org/

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