Synode sur la famille: vous avez dit nullités de mariage ?
Par le Père Cédric Burgun, membre de la Communauté de l'Emmanuel
À quelques jours de l’ouverture solennelle de synode sur la famille, beaucoup de choses sont dites au sujet des fameuses « nullités » de mariage ; propos qui, je dois l’avouer, me laissent bien souvent perplexe, à beaucoup d’égard.
Trop souvent, les médias présentent le synode comme se résumant à deux points : ouvrir la communion aux divorcés remariés et « simplifier » les procédures de nullité de mariage. Et d’ailleurs, le cardinal Burke a récemment dénoncé ce qu’il appelle une tentative de détournement du synode. Le journal La Vie le rapportait :
« Concentrer le synode sur la question de l’accès à la communion des divorcés remariés est une opération orchestrée par les journalistes : c’est en substance ce que déclare le cardinal Raymond Leo Burke dans une interview (en anglais) à l’hebdomadaire américain National Catholic Register. Le préfet du Tribunal suprême de la signature apostolique – qui traite, notamment, les cas d’annulation dans l’Église – déclare qu’il n’y a « pas besoin d’être brillant pour voir que les médias ont, depuis des mois, essayé de détourner ce synode ». Selon le cardinal Burke, le danger est que « les médias aient créé une situation dans laquelle les gens s’attendent à ce qu’il y ait ces changements majeurs qui, en fait, constitueraient un changement dans l’enseignement de l’Église, ce qui est impossible ». Partisan, au même titre que le cardinal Müller, du statu quo sur la question de l’indissolubilité du mariage, Mgr Burke appelle “les dirigeants de l’Église” à se montrer “très clairs” sur le sujet. »
Et très franchement, je ne suis pas loin de partager cet avis cardinalice. Il ne se passe pas un jour sans qu’un journal, chrétien ou non, ne publie un article sur ces points. Mais cela pose deux questions : d’une part, le synode aura-t-il encore un travail autre que celui de trancher entre des positions déjà exprimées ? Ces débats, tels qui sont repris dans les médias, laissent croire, de plus, qu’ils ne sont l’objet que de courants théologiques et d’idées bien intellectuelles, le tout évidemment éloigné des vraies réalités … D’autre part, quid du reste de la pastorale familiale ? L’évangile de la famille, selon l’expression consacrée par le cardinal Kasper en février dernier, est loin de se résumer à ces deux seuls « problèmes ». Son long discours d’introduction au consistoire sur la famille avait fait beaucoup parler de lui sans même qu’on prenne le temps de s’y arrêter vraiment. Et pour preuve : il fut publié en italien (publié dans son intégralité dans le quotidien italien Il foglio du samedi 1er mars 2014) et voilà seulement maintenant qu’une traduction française est publiée (septembre 2014, éditions du Cerf). Beaucoup de commentateurs y avaient vu de grandes ouvertures sur la question des divorcés remariés : certes, sur une conférence qui dura plus de 2h, la place laissée à cette question était importante, mais elle n’occupait même pas un tiers du discours ! Le cardinal Kasper avait au contraire affiché d’emblée sa volonté de donner à son propos, et plus largement à la réflexion sur la famille qui va se poursuivre au Vatican, une orientation positive, sans toutefois nier les zones d’ombre et les problèmes. Quel est le reflet de cette orientation positive aujourd’hui ? J’ai bien du mal à la percevoir ces derniers jours …
Le cardinal avait voulu mettre au cœur de son propos un point fondamental. Le discours de l’Église est une bonne nouvelle, un évangile – c’est ainsi qu’il a intitulé son propos « L’évangile de la famille » ; et c’est une bonne nouvelle dont l’Église et la société ont bien besoin ! Certes, et avant même de parler des divorcés remariés, le cardinal Kasper reconnaissait très simplement qu’aujourd’hui la famille est en crise : en rappelant que la famille est la « cellule de base de la société », il tenait à redire qu’elle « traverse une crise culturelle profonde ».
Cela étant dit, la question des nullités de mariage, et de leur « réforme », est donc avancée et présentée, mais malheureusement bien souvent de manière trop caricaturale. À croire que les juges et autres canonistes ne seraient que des prêtres poussiéreux, enfermés dans leurs officialités, prenant plaisir à être pointilleux pendant que d’autres se préoccupent de la vraie pastorale ! Et j’exagère à peine …
Des « annulations de mariage », vous dites ?
Combien il m’arrive de faire des bonds lorsque j’entends régulièrement parler d’annulation de mariage ; et redisons-le encore une fois : cela n’existe pas ! Dans l’Église, il n’y ni « annulation », ni même des « nullités » : il y a des « reconnaissances d’invalidité de mariage » ou encore, si vous préférez, des « reconnaissances de nullité de mariage », même si je trouve que ce mot n’est pas très adapté.
Dans l’Église, il y a une procédure (certes longue) qui vise à déclarer si un mariage pouvait être célébré ou non ; autrement dit, l’Église veut déclarer si un mariage est valide, non pas d’abord aux yeux des hommes, aux yeux du droit de l’Eglise qui se complairait à être tatillon. Non ! La question se pose déjà aux yeux de Dieu : « ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux. Ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux » (cf. Mt 16, 19). Tel acte sacramentel était-il vrai, sincère, dûment posé ? Tel mariage était-il valide ? C’est étonnant que pour les mariages, d’aucuns pensent que cela n’a pas de sens de s’interroger, alors que, par exemple, lorsqu’il y a eu la crise lefevriste, d’autres (et parfois les mêmes) auraient voulu que l’on pose sérieusement la question de la validité des ordinations épiscopales et donc ensuite sacerdotales !
Alors oui, l’Eglise prend au sérieux l’homme et la femme dans leur capacité de s’engager : étaient-ils capables de poser un acte suffisamment mûr et libre pour que le « oui » à son conjoint soit non seulement sincère, mais vrai ? Lorsque les juges ecclésiastiques, dans leurs officialités, se posent cette question, ils le font dans un souci d’accompagnement des personnes, dans la recherche de la vérité, pour amener ces personnes à faire la lumière sur ce qu’ils ont vécu. Alors oui, cela interroge : comment un mariage pourrait-il « être annulé », dit-on, lorsqu’il y a eu un amour sincère et des enfants ? Mais depuis quand la naissance d’un enfant est signe d’une vraie maturité et d’une vraie liberté, pourtant si nécessaires à l’engagement matrimonial ? Pour s’en convaincre, il suffit de regarder l’adolescent : à 16-17 ans, il est tout à fait capable physiquement d’avoir un enfant et d’aimer quelqu’un, sincèrement. Est-il suffisamment libre pour s’engager ? Est-il suffisamment mûr ? Vous me permettrez d’en douter. Or, et on le sait bien, selon certains psychologues aujourd’hui, les adulescents (ces grands « ados » adultes) sont nombreux : sont-ils plus mûrs et plus libres que leurs jeunes concitoyens ?
Qui d’autres alors pourrait interroger cette capacité de s’engager, relire l’histoire d’un couple et essayer de discerner avec lui ce qui était sincère et ce qui était vrai ? Faut-il aujourd’hui encore expliquer la différence fondamentale qui distingue sincérité et vérité ? Je peux être sincère sans être vrai. Trop souvent, la justice civile n’en a plus que faire des divorces et des souffrances se réduisant à une chambre d’enregistrement de la séparation : on gère le patrimoine et la garde des enfants (non pas dans le fond, mais dans la forme uniquement). Voyez, pour vous en convaincre, la réforme avortée – mais qui reviendra prochainement, n’en doutons pas – de laisser au greffier le soin de gérer au plus vite les divorces (l’État se demandait, au début de cette année, si les divorces à l’amiable ne pourraient pas être « homologués » (sic) par des greffiers au lieu d’être revêtus du sceau d’un magistrat).
Quant aux pastorales familiales, avouons-le, elles organisent encore trop peu de choses pour les couples en souffrance ou les personnes divorcées et/ou remariées, déjà parce que la question est délicate et que la formation nécessaire est essentielle. Suffit-il honnêtement de leur dire « remariez-vous » pour avoir une pastorale digne de ce nom ? Suffit-il de simplifier des procédures pour traiter leur cas rapidement et attester que de toute manière leur mariage était invalide sans prendre le temps d’écouter, de guérir, de laisser remonter à la surface les souffrances et les blessures d’un éventuel manque de liberté ou de maturité ? Je sais que ce n’est pas le propos engagé à Rome, mais c’est ce qui ressort trop souvent médiatiquement !
Si les procès en invalidité de mariage sont si longs (et j’ai bien conscience qu’il y a aussi des choses à améliorer), c’est bien parce que faire le point sur tout cela, prendre le temps d’écouter, d’interroger, de comprendre une histoire conjugale, ça ne s’improvise pas. Et les nombreux témoignages de personnes qui ont vécu ces « procès » savent combien ils peuvent être libérateurs, malgré leur longueur.
De plus, les choses ne se passent pas toujours aussi simplement : oui, il peut y avoir des juges ou des avocats qui ne sont pas à la hauteur de l’accompagnement, comme partout. Oui, il y a peut-être de par le monde des officialités qui ne répondent pas à la hauteur des enjeux ; et ce que je vous disais plus haut pourrait paraître trop parfait. Mais qu’est-ce qui éviterait-elle ces écueils ? De plus, il y a aussi d’autres cas, plus nombreux qu’on ne le pense, où des couples se déchirent encore devant l’officialité et qui ne sont pas d’accord sur cette invalidité éventuelle : ce peut être le cas où seulement l’un des deux conjoints souhaite la reconnaissance de l’invalidité de son mariage pour différentes raisons, et l’autre non, subissant l’éloignement de son conjoint. Ce peut être encore le cas d’un couple souhaitant la reconnaissance de l’invalidité de leur mariage, mais pour des raisons différentes s’accusant mutuellement de tel ou tel problème. Ce peut être aussi le cas de couples qui tentent de tromper l’officialité pour obtenir satisfaction … Quelles sont les procédures qui peuvent répondre à ces cas difficiles, douloureux, respectant à la fois le désir sincère de vérité et la recherche de la compassion et de la miséricorde ? C’est cette question qu’il convient d’abord de poser, avant de même laisser les gens se remarier comme si leur histoire passée n’avait pas de poids. Comment, sans prendre le temps et les moyens de l’écoute, de la vérification, pourra-t-on être sûr que les couples ne subiront pas une blessure plus profonde encore par une procédure d’Église qui en deviendrait injuste ?
Comme le disait récemment le Vatican, dans une note diffusée à l’occasion de la publication de la liste des participants au Synode, « la norme en vigueur est le quai sur lequel passe le train du renouveau ». Ce n’est que par une juste compréhension des procédures de reconnaissance d’invalidité de mariage que l’on pourra servir au mieux les nécessaires réformes au service de la Vérité.
Père Cédric Burgun
Source : Père Cédric Burgun
Écrit par Espérance Nouvelle Lien permanent | Commentaires (0)
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