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03/11/2015

« Sauf en cas d’union illégitime » : une exception à l'indissolubilité du mariage ?

Extrait du livre « Le mariage chrétien à l'épreuve du divorce », Père Alain Bandelier, Éditions de l'Emmanuel, Paris, 2010 (Nihil obstat, Paris, le 18 juin 2010, M. Dupuy. Imprimatur, Paris, le 22 juin 2010, M. Vidal), pages 61-64.

 

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UNE EXCEPTION: « EN CAS DE PORNÉIA »

Volontairement, pour faciliter la lecture synoptique des textes, j'ai laissé de côté jusqu'à maintenant une incise propre à Matthieu [1]. Lui seul laisse entendre une réserve dans l'enseignement du Maître: renvoyer sa femme et en épouser une autre est un adultère, « sauf en cas de poméia » (dans le discours sur la montagne) ou « pas s'il s'agit de pornéia » (dans le débat avec les pharisiens). Les deux expressions sont légèrement différentes, mais elles énoncent de toute évidence une exception au principe, au moment même où Jésus le pose. Compte tenu de la construction de la phrase, cette exception n’est pas quelque chose de marginal; elle s'inscrit au cœur même du principe. Tout le problème sera d'interpréter cette exception.

Volontairement toujours, j'ai laissé jusqu'ici dans sa langue originale le mot grec de l'Évangile. Le sens que lui donnera le traducteur conditionnera pour une large part, on s’en doute, le sens de la phrase. Même si l’on n'est pas un helléniste chevronné, le simple fait de retrouver ce mot dans notre moderne pornographie met déjà sur la voie. Si l’on ne veut pas courir le risque d'interprétations trop rapides voire tendancieuses, la méthode la plus sûre est de rechercher ce mot dans tout le Nouveau Testament et de voir ce qu’il désigne couramment. La consultation d'une concordance montre qu'on le rencontre 56 fois sous une forme ou sous une autre. Il a tantôt le sens direct de prostitution (pornéia désigne la femme qui se prostitue) tantôt le sens large d’inconduite sexuelle. Saint Paul met souvent en garde contre la fornication, selon les traductions classiques. mais il faut comprendre tout simplement la débauche, conduite réprouvée en Israël mais très répandue dans les villes païennes où vivent les destinataires de ses lettres. L'Apocalypse, comme les prophètes de l'Ancien Testament, emploie également beaucoup ce mot dans un sens spirituel, pour désigner l’idolâtrie [2]. On comprend donc que l'exception signalée par Matthieu ne signifie pas une "dispense" de l'indissolubilité, mais au contraire une absence d'indissolubilité. Elle vise tous les cas où un homme et une femme se contentent de faire l'amour sans faire alliance: "cas d'union illégitime" pour reprendre la traduction liturgique francophone, un peu éloignée du mot à mot du texte, sans doute, mais fidèle à son sens.

Certains s'appuient sur cette "exception" matthéenne pour justifier l’acceptation de secondes, voire de troisièmes et quatrièmes noces. En cas d'adultère de l'un des deux époux, le conjoint "innocent" aurait la faculté de contracter une nouvelle union. C’est un débat à la fois théologique, œcuménique et pastoral qui est loin d'être clos. En tout état de cause, il est abusif d'argumenter en faveur d’une telle hypothèse à partir des trois mots de Matthieu. Premièrement: l’incise ne signifie certainement pas "sauf en cas d'adultère" car pour dire adultère on emploie un autre mot, déjà présent dans le texte. Deuxièmement: l'exception signalée est une précision sur le champ d’application de la règle, et non pas une modification de la règle, toujours énoncée de façon affirmative. D’ailleurs, si la règle était atténuée, la protestation des disciples n'aurait plus de raison d'être [3]. Il faudrait même en conclure que l'énoncé de saint Marc est moins miséricordieux, puisqu'il ne signale pas d'exception à la règle. Or, paradoxalement, dans le récit de Marc les disciples ne protestent pas, ils se contentent d’interroger. Troisièmement: le fait que ni Luc ni Marc n'énoncent une restriction de ce genre confirme que l'addition ou plus exactement la précision que l’on trouve chez Matthieu ne porte pas sur le principe lui-même; l’évangéliste ne se permettrait pas de contredire une tradition évangélique d'autant plus clairement attestée qu'elle affronte non seulement la contestation des adversaires de Jésus mais encore celle de ses propres disciples.




NOTES

[1] (Matthieu 5, 32; 19. 9)

[2] À rapprocher de Jean 8,41

[3] Louis Dingemans ("Jésus face au divorce", éditions Fidélité, 2004, pages 85-86) note que le droit juif de l’époque imposait à l’époux de renvoyer l'adultère. Il laisse entendre que l'exception signalée par Matthieu peut être comprise comme "un ces où la répudiation est admissible, voire exigée" (page 94). Lu avec de telles lunettes. le texte évangélique devient un simple commentaire rabbinique. On se demande ce qui reste du prophétisme de Jésus. Et pourquoi le prophète sera crucifié. Ce n'est d'ailleurs pas le seul cas où l'auteur joue sur "la complexité de ces textes et de leur interprétation" (page 11) pour leur faire dire autre chose que ce qu'ils disent.

 

16/02/2014

« Sauf en cas d’union illégitime » (porneia: prostitution)

Ce texte reprend la troisième partie de l’Introduction du cardinal Joseph Ratzinger (Pape Benoît XVI) au numéro 17 de la collection « Documenti e Studi », dirigée par la Congrégation pour la doctrine de la foi, Sulla pastorale dei divorziati risposati, LEV, Cité du Vatican 1998, p. 20-29.

L'extrait suivant concerne l'hypothèse d'éventuelles exceptions à l'indissolubilité du mariage:

1. Beaucoup estiment, alléguant divers passages du Nouveau Testament, que la parole de Jésus sur l’indissolubilité du mariage permet une application souple et ne peut pas être classée avec rigidité dans une catégorie juridique.

Quant à l’indissolubilité du mariage, certains experts ont avancé, de manière critique, que le Magistère citerait presque exclusivement une seule péricope – c’est-à-dire Mc 10, 11-12 – et ne tiendrait pas suffisamment compte d’autres passages de l’évangile de Matthieu et de la première lettre aux Corinthiens. Ces passages bibliques mentionneraient quelques « exceptions » à la parole du Seigneur sur l’indissolubilité du mariage, c’est-à-dire dans le cas de la porneia (cf. Mt 5, 32 ; 19, 9) et dans celui de la séparation pour raison de foi (cf. 1 Co 7, 12-16). Ces textes seraient des indications que les chrétiens se trouvant dans des situations difficiles auraient connu, déjà aux temps apostoliques, une application souple de la parole de Jésus.

On doit répondre à cette objection que les documents magistériels n’ont pas l’intention de présenter d’une manière complète et exhaustive les fondements bibliques de la doctrine sur le mariage. Ils laissent cette tâche importante aux experts compétents. Le Magistère souligne cependant que la doctrine de l’Église sur l’indissolubilité du mariage découle de la fidélité envers la parole de Jésus. Jésus définit clairement la pratique vétérotestamentaire du divorce comme une conséquence de la dureté du cœur de l’homme. Il renvoie – au-delà de la loi – au commencement de la création, à la volonté du Créateur, et résume son enseignement par ces mots : « Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas » (Mc 10, 9.) Avec la venue du Rédempteur, le mariage est donc ramené à sa forme originelle à partir de la création et soustrait à l’arbitraire humain, surtout à l’arbitraire du mari car, de fait, il n’y avait pas en réalité de possibilité de divorce pour la femme. La parole de Jésus sur l’indissolubilité du mariage est le dépassement de l’ancien ordre de la loi par l’ordre nouveau de la foi et de la grâce. C’est seulement ainsi que le mariage peut rendre pleinement justice à l’appel de Dieu à l’amour et à la dignité humaine, et devenir un signe de l’Alliance d’amour inconditionnel de la part de Dieu, c’est-à-dire un « sacrement » (cf. Ep 5, 32).

La possibilité d’une séparation, que Paul envisage en 1 Co 7, concerne les mariages entre un conjoint chrétien et un autre qui n’est pas baptisé. La réflexion théologique postérieure a clarifié le fait que seuls les mariages entre baptisés sont « sacrement », au sens strict du mot, et que l’indissolubilité absolue ne vaut que pour les mariages qui se situent dans le cadre de la foi dans le Christ. Ce que l’on appelle le « mariage naturel » a sa dignité à partir de l’ordre de la création et est donc orienté vers l’indissolubilité, mais il peut être dissous, dans des circonstances déterminées, en raison d’un bien plus élevé, en l’occurrence la foi. Ainsi, la systématisation théologique a classifié juridiquement l’indication de saint Paul comme « privilège paulin », c’est-à-dire comme possibilité de dissoudre, pour le bien de la foi, un mariage non sacramentel. L’indissolubilité du mariage vraiment sacramentel est donc sauvegardée ; il ne s’agit donc pas d’une exception à la Parole du Seigneur. Nous y reviendrons plus loin.

En ce qui concerne la compréhension correcte des clauses sur la porneia, il existe une vaste littérature avec beaucoup d’hypothèses diverses, même contradictoires. De fait, il n’y a pas, parmi les exégètes, unanimité sur cette question. Beaucoup pensent qu’il s’agit ici d’unions matrimoniales invalides et non pas d’exceptions à l’indissolubilité du mariage. En tout cas, l’Église ne peut construire sa doctrine et sa pratique sur des hypothèses exégétiques incertaines. Elle doit s’en tenir à l’enseignement clair du Christ.

2. D’autres objectent que la tradition patristique laisserait place à une pratique plus différenciée, qui rendrait mieux justice aux situations difficiles ; à ce propos, l’Église catholique pourrait apprendre quelque chose du principe d’« économie » des Églises orientales séparées de Rome.

On affirme que le Magistère actuel ne s’appuierait que sur un filon de la tradition patristique, mais non pas sur tout l’héritage de l’Église ancienne. Si les Pères s’en sont clairement tenus au principe doctrinal de l’indissolubilité du mariage, certains d’entre eux ont toléré, sur le plan pastoral, une certaine souplesse devant des situations particulières difficiles. Sur cette base, les Églises orientales séparées de Rome auraient développé plus tard, à côté du principe d’« acribie », de la fidélité à la vérité révélée, le principe de l’« économie », c’est-à-dire de la condescendance bienveillante, dans des circonstances particulières difficiles. Sans renoncer au principe de l’indissolubilité du mariage, elles permettraient, dans des cas déterminés, un deuxième et même un troisième mariage qui, par ailleurs, est différent du premier mariage sacramentel et est marqué du caractère de la pénitence. Cette pratique n’aurait jamais été condamnée explicitement par l’Église catholique. Le Synode des évêques de 1980 aurait suggéré d’étudier à fond cette tradition, afin de mieux faire resplendir la miséricorde de Dieu.

L’étude faite par le Père Pelland montre la direction où il faut chercher la réponse à ces questions. Pour l’interprétation des textes patristiques pris en particulier, l’historien reste naturellement compétent. Étant donné la difficulté de situer ces textes, les controverses ne s’apaiseront pas, même dans le futur. Du point de vue théologique, on doit affirmer :

a) Il existe un clair consensus des Pères en faveur de l’indissolubilité du mariage. Puisque celle-ci découle de la volonté du Seigneur, l’Église n’a aucun pouvoir sur elle. C’est bien pour cela que, dès le début, le mariage chrétien fut différent du mariage de la civilisation romaine même si, dans les premiers siècles, il n’existait encore aucune réglementation canonique le concernant. L’Église du temps des Pères exclut clairement le divorce et un nouveau mariage, et cela à cause d’une obéissance fidèle au Nouveau Testament. 

b) Dans l’Église du temps des Pères, les fidèles divorcés remariés ne furent jamais admis officiellement à la sainte communion après un temps de pénitence. Il est vrai, en revanche, que l’Église n’a pas rigoureusement révoqué en tous les pays des concessions en la matière, même si elles étaient qualifiées de non compatibles avec la doctrine et la discipline. Il semble qu’il soit également vrai que certains Pères, par exemple Léon le Grand, ont cherché des solutions « pastorales » pour de rares cas limites.

c) Par la suite, on en arriva à deux développements opposés l’un à l’autre :

- Dans l’Église impériale, après Constantin, on chercha, à la suite de l’imbrication toujours plus forte entre l’État et l’Église, une plus grande souplesse et une plus grande disponibilité au compromis dans des situations matrimoniales difficiles. Jusqu’à la réforme grégorienne, cette tendance se manifesta aussi dans les milieux gaulois et germanique. Dans les Églises orientales séparées de Rome, ce développement se poursuivit au cours du second millénaire et conduisit à une pratique toujours plus libérale. Il existe aujourd’hui, en de nombreuses Églises orientales, toute une série de motifs de divorce, sinon même une « théologie du divorce », qui n’est, en aucune manière, conciliable avec les paroles de Jésus sur l’indissolubilité du mariage. Ce problème doit être absolument abordé dans le dialogue œcuménique.

- En Occident, grâce à la réforme grégorienne, on retrouva la conception originelle des Pères. Ce développement trouva, d’une certaine manière, sa confirmation lors du concile de Trente et fut à nouveau proposé comme doctrine de l’Église par le concile Vatican II.

La pratique des Églises orientales séparées de Rome, conséquence d’un processus historique complexe, d’une interprétation toujours plus libérale – et qui s’éloignait toujours davantage de la Parole du Seigneur – de certains passages patristiques obscurs, influencée aussi à l’évidence par la législation civile, ne peut pas, pour des motifs doctrinaux, être assumée par l’Église catholique. À cet égard, il n’est pas exact d’affirmer que l’Église catholique aurait simplement toléré la pratique orientale. Certes, le concile de Trente n’a prononcé aucune condamnation formelle. Néanmoins, les canonistes médiévaux en ont parlé constamment comme d’une pratique abusive. De plus, il existe des témoignages selon lesquels des groupes de fidèles orthodoxes, qui devenaient catholiques, devaient signer une confession de foi avec mention expresse de l’impossibilité d’un second mariage.

Dans ce texte, le cardinal Ratzinger (Pape Benoît XVI) explique le caractère infondé et fallacieux des cinq objection suivantes à l'encontre de l'enseignement de l'Eglise sur l'indissolubilité du mariage:

1. Beaucoup estiment, alléguant divers passages du Nouveau Testament, que la parole de Jésus sur l’indissolubilité du mariage permet une application souple et ne peut pas être classée avec rigidité dans une catégorie juridique.

2. D’autres objectent que la tradition patristique laisserait place à une pratique plus différenciée, qui rendrait mieux justice aux situations difficiles ; à ce propos, l’Église catholique pourrait apprendre quelque chose du principe d’« économie » des Églises orientales séparées de Rome.

3. Beaucoup proposent de permettre des exceptions à la norme ecclésiale, sur la base des principes traditionnels de l’epikeia et de l’aequitas canonica.

4. Certains accusent le Magistère actuel d’involution par rapport au Magistère du Concile Vatican II et de proposer une vision préconciliaire du mariage.

5. Beaucoup affirment que l’attitude de l’Église dans la question des divorcés remariés est unilatéralement normative et non pas pastorale.

> Le texte complet du cardinal Ratzinger « À PROPOS DE QUELQUES OBJECTIONS À LA DOCTRINE DE L'ÉGLISE CONCERNANT LA RÉCEPTION DE LA COMMUNION EUCHARISTIQUE DE LA PART DES FIDÈLES DIVORCÉS REMARIÉS » en français

> Le texte complet du cardinal Ratzinger « A proposito di alcune obiezioni contro la dottrina della Chiesa circa la recezione della Comunione eucaristica da parte di fedeli divorziati risposati » en italien

> Le texte complet du cardinal Ratzinger « A propósito de algunas objeciones contra la doctrina de la Iglesia sobre de la recepción de la Comunión eucarística por parte de los fieles divorciados y vueltos a casar » en espagnol

> Le texte complet du cardinal Ratzinger « CONCERNING SOME OBJECTIONS TO THE CHURCH'S TEACHING ON THE RECEPTION OF HOLY COMMUNION BY DIVORCED AND REMARRIED MEMBERS OF THE FAITHFUL» en anglais

> Le texte complet du cardinal Ratzinger « ZU EINIGEN EINWÄNDEN GEGEN DIE KIRCHLICHE LEHRE ÜBER DEN KOMMUNIONEMPFANG VON WIEDERVERHEIRATETEN GESCHIEDENEN GLÄUBIGEN » en allemand

> Le texte complet du cardinal Ratzinger « A PROPÓSITO DE ALGUMAS OBJECÇÕES CONTRA A DOUTRINA DA IGREJA ACERCA DA RECEPÇÃO DA COMUNHÃO EUCARÍSTICA DA PARTE DE FIÉIS DIVORCIADOS RECASADOS » en portugais

 

« Quand vous dites 'oui', que ce soit un 'oui'. » (Mt 5, 37)

 

> « INDISSOLUBILITÀ DEL MATRIMONIO E L'INCONTRO MONDIALE CON LE FAMIGLIE A RIO DE JANEIRO », Pontificio Consiglio per la Famiglia, 3-4 Marzo 1997 (italiano)

 

14:29 Publié dans Famille, Pape, Religion | Tags : porneia | Lien permanent | Commentaires (0)