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17/06/2015

Saint Bonaventure - Itinéraire de l'âme à Dieu - Chapitre premier

 

Saint Bonaventure

Ordre des Frères Mineurs--Cardinal-Évêque d'Albane--Docteur de l’Église

Itinéraire de l’Âme à Dieu

 

PROLOGUE.

CHAPITRE PREMIER. Des degrés d'élévation à Dieu, et de la contemplation du Seigneur par les traces de sa puissance créatrice.

CHAPITRE II.De la contemplation de Dieu dans les traces de sa présence imprimées en ce monde sensible.

CHAPITRE III. De la contemplation de Dieu par son image gravée dans les facultés naturelles de notre âme.

CHAPITRE IV. De la contemplation de Dieu en son image reformée par la grâce divine.

CHAPITRE V. De la contemplation de l'unité divine par son nom principal, qui est l’ETRE.

CHAPITRE VI. De la contemplation de la Trinité bienheureuse en son nom, qui est SOUVERAINEMENT BON.

CHAPITRE VII. Du ravissement spirituel et mystique, dans lequel le repos est donné à notre intelligence et notre affection passe tout entière en Dieu.

 

CHAPITRE PREMIER. Des degrés d'élévation à Dieu, et de la contemplation du Seigneur par les traces de sa puissance créatrice.

 

Bienheureux est l'homme qui attend de vous son secours, mon Dieu; il a établi dans son cœur des degrés pour s'élever à vous du milieu de cette vallée de larmes, du lieu où il a fixé son séjour (1). — La béatitude n'étant autre chose que la jouissance du souverain bien, et ce bien suprême étant placé au-dessus de nous, nul ne peut arriver au bonheur qu'en s'élevant au-dessus de soi-même, non par des efforts corporels, mais par l'action de son esprit. Or, nous sommes impuissants à nous élever de la sorte si une vertu supérieure ne nous vient en aide.

 

1 Ps. 83.

 

Quelles que soient nos dispositions intérieures, elles demeurent sans effet si elles ne sont assistées du secours d’en haut ; mais ce secours n'est donné qu'à veux qui l'implorent avec dévotion et humilité, et cette prière fervente est ce que l'on appelle soupirer vers la grâce divine en celte vallée de larmes. L'oraison est donc le principe et la source de notre élévation vers Dieu. Aussi saint Denis, roulant, nous instruire de ce qui concerne les ravissements de l'âme , donne-t-il l'oraison comme premier moyen. Prions donc et disons au Seigneur notre lieu : Conduisez-moi, Seigneur, dans votre voie, et faites-moi entrer en votre vérité. Que mon cœur se réjouisse dans la crainte de votre nom (1).

 

En priant ainsi nous recevons la lumière qui nous lait connaître les degrés par où nous devons nous élever. Car dans l'état de notre nature, l'universalité des choses est une échelle destinée à nous faire mouler vers Dieu ; et, parmi ces choses, les unes nous offrent une trace de la puissance de leur auteur, les autres nous en représentent une image; les unes sont corporelles, les autres spirituelles ; les unes sont temporelles, les autres éternelles ; les unes sont placées hors de nous, les autres nous sont intérieures. Or, pour arriver à la considération du premier principe , qui est essentiellement spirituel et éternel, et en même temps placé au-dessus de nous, il nous faut passer à travers ce qui nous est une trace de sa puissance; c'est l'être corporel, extérieur et temporel. Ce passage est ce qu'on appelle être conduit dans la voie de Dieu.

 

1 Ps. 85

 

Il nous faut aussi entrer en notre âme , qui est l'image éternelle du Seigneur, un être spirituel, placé au-dedans de nous ; et c'est là faire son entrée en la vérité. Il faut ensuite que, fixant nos regards sur le Premier principe, nous arrivions jusqu'à lui; et c'est là se réjouir dans la connaissance de Dieu et la crainte respectueuse de sa majesté. Nous avons donc ici le voyage de trois jours au milieu de la solitude, et en même temps la triple illumination d'un seul et même jour , dont la première peut être comparée au soir, la seconde au matin, la troisième au midi. Cette illumination embrasse la triple existence des choses : en elles-mêmes , en notre intelligence et dans la pensée de Dieu, selon cette parole : Qu'il soit fait, il fit et il fut fait. Elle se rapporte aussi à la triple substance de Jésus-Christ qui est notre échelle véritable , c'est-à-dire à son corps, à son âme et à sa divinité.

 

Selon ce même ordre, notre âme s'offre à nous également sous un triple aspect. Par rapport aux choses extérieures elle est animale ou sensuelle; intérieurement et en elle-même elle est esprit; et considérée au-dessus d'elle-même elle est intelligence. Nous devons donc, partant de ces divers points, chercher à nous élever à Dieu afin de l'aimer de tout notre esprit, de tout notre cœur et de toutes nos forces. C'est en cela que consiste l'observance parfaite de la loi, en même temps que toute la sagesse chrétienne.

 

1 Exod., 5.

 

Mais comme chacun de ces degrés en forme deux, selon que nous considérons Dieu comme le commencement et la fin de tout , selon que nous le contemplons en chacun d'eux comme par un miroir et comma en un miroir, ou bien enfin selon que chacune de ces considérations se fait en elle-même ou jointe à un autre, il est nécessaire de former six degrés de ces trois. Et de même que Dieu a consacré six jours à la création de l'univers et s'est reposé le septième, de même il faut que le monde inférieur soit conduit au parfait repos de la contemplation en passant par six degrés successifs d'illumination. Cet ordre était figuré par les six degrés qui conduisaient au trône de Salomon. De même les séraphins que vit Isaïe avaient six ailes, de même encore Dieu n'appela Moïse du milieu de la nuée qu'après six jours, et ce fut également six jours après les avoir avertis que Jésus-Christ conduisit ses disciples sur la montagne et qu'il fut transfiguré en leur présence (1).

 

Selon ces six degrés d'élévation à Dieu, notre âme possède donc six degrés ou puissances pour monter des choses les plus basses aux plus élevées , des choses extérieures aux intérieures , des choses temporelles à celles de l'éternité. Ce sont : les sens, l'imagination, la raison, l'intellect, l'intelligence, le sommet de l'esprit ou autrement l'étincelle de la conscience. Ces degrés ont été implantés en nous par la création , défigurés par le péché, rétablis par la grâce, purifiés par la justice, exercés par la science, et rendus parfaits par la sagesse.

 

1 III Reg., 10; —  Is., 6; — Exod., 24 ; — Matt., 17.

 

Selon l'institution première de notre nature, l'homme fut créé apte à goûter le repos de la contemplation, et c'est pour cela que Dieu le plaça dans un paradis de délices. Mais s'étant porté de la vraie lumière à un bien passager, il se trouva par sa propre faute incliné vers la terre, ce qui imprima à la nature humaine une double misère : l'ignorance de l'esprit et la concupiscence de la chair. Ainsi l'homme est aveugle et assis au milieu des ténèbres ; il ne voit point la lumière du ciel si la grâce, aidée de la justice, ne lui vient en aide contre sa concupiscence, si la science, accompagnée de la sagesse, ne dissipe son ignorance; et tout cela s'accomplit par Jésus-Christ , qui a été établi par Dieu pour être notre sagesse et notre justice, notre sanctification et notre rédemption (1). Étant la vertu et la sagesse même de Dieu , le Verbe incarné plein de grâce et de vérité, il a répandu sur nous la grâce et la vérité. Il nous a donné la grâce de la charité qui , partant d'un cœur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère, reforme l'âme tout entière selon le triple aspect dont nous avons parlé. Il nous a enseigné la vérité selon les trois modes de la théologie. Par les symboles il nous a appris à bien user des choses sensibles; par la réalité, à faire de même pour les choses intellectuelles et par la mysticité, à nous porter aux choses placées au-dessus de nous-mêmes.

 

1 I Cor., 1.

 

Celui donc qui veut s'élever à Dieu , doit, après avoir évité le péché , qui défigure sa nature, exercer les puissances dont nous venons de parler à acquérir par la prière la grâce qui réforme , par une vie sainte la justice qui purifie, par la méditation la science qui illumine, et par la contemplation la sagesse qui rend parfait. Or, de même que nul n'arrive à la sagesse que par la grâce, la justice et la science, de même on n'arrive à la contemplation que par une méditation profonde , une vie pure et une oraison fervente. Et comme le redressement de la volonté et l'illumination véritable de la raison ont pour fondement la grâce, nous devons commencer par prier, ensuite vivre saintement, nous appliquer à considérer attentivement la vérité partout où elle s'offre à nos regards, et enfin nous efforcer de monter graduellement jusqu'à ce que nous arrivions à la montagne élevée, à la sainte Sion où le Dieu des dieux nous manifestera sa gloire (1).

 

Mais comme sur cette échelle de Jacob il faut monter avant de descendre, nous placerons le premier degré d'élévation au point le plus inférieur en offrant à notre contemplation ce monde sensible tout entier compte un miroir qui nous fera arriver au Dieu suprême qui l'a créé, et de la sorte nous serons de vrais Hébreux passant de l’Égypte à la terre promise à nos aïeux, de vrais chrétiens allant avec Jésus-Christ de ce monde à notre Père, de vrais amants de la sagesse qui nous appelle et nous dit : Venez à moi, vous tous qui me désirez, et soyez remplis des fruits que je porte.

 

1 Ps. 83.

 

La grandeur et la beauté de la créature peuvent nous faire connaître et rendre sensible à nits veux son Créateur, car elle est toute brillante de sa puissance souveraine, de sa sagesse et de sa bonté (1). Et le sens de la chair l'annonce d'une triple manière au sens intérieur, car il aide à l'intellect qui examine par le raisonnement, croit par la foi, et contemple au moyen des lumières acquises. Or, par la contemplation il considère l'existence actuelle des choses, par la foi leur cours habituel, et par le raisonnement leur excellence admirable.

 

Et d'abord l'intellect contemplant ainsi les choses en elles-mêmes, y découvre le poids, le nombre et la mesure : le poids quant au lieu où elles inclinent, le nombre quant à la diversité qui les distingue, la mesure quant aux limites qui les circonscrivent. Par là il voit en elles le mode, la beauté et l'ordre, ainsi que la substance, la vertu et l'opération; et ainsi il peut s'élever, comme au moyen d'un indice qui le guide, à comprendre la puissance, la sagesse et la bonté sans limites du Créateur.

 

Ensuite l'intellect fixant sur le monde le regard de la foi, en considère l'origine, le cours et la fin : car par la foi nous croyons que les siècles ont été préparés pour recevoir la parole de vie (2) ; que les temps de la loi de nature, de la loi écrite et de la loi de grâce se sont succédé et accomplis dans un ordre parfait, et enfin que ce monde aura pour terme le jugement dernier; et ainsi nous découvrons dans la première de ces choses la puissance du principe suprême, dans la seconde sa providence, et dans la troisième sa justice.

 

1 Eccl., 24. — Sap., 13. — 2 Hebr., 11.

 

Le raisonnement, poursuivant également ses recherches , reconnaît que certains êtres n'ont que l'existence , d'autres l'existence et la vie, et que d’autres enfin existent, vivent et discernent. Les premiers tiennent le rang le plus bas , les seconds le milieu , et les troisièmes le rang le plus élevé. Il voit ensuite que parmi ces êtres les uns sont corporels, et que d'autres ont en même temps un corps et un esprit, d'où il conclut qu'il doit y en avoir de simplement spirituels , comme meilleurs et plus excellents que les deux premières espèces. Il découvre encore qu'il y a des êtres sujets au changement et à la corruption , comme tout ce qui est terrestre; que d'autres sont mobiles mais incorruptibles, comme les corps célestes ; d'où il comprend qu'il doit s'en trouver d'immuables et d'incorruptibles, comme ceux qui habitent au-dessus du ciel visible. C'est ainsi que les choses visibles nous conduisent à considérer la puissance , la sagesse et la bonté de Dieu ; à reconnaître qu'il a en lui-même l'être, la vie et l'intelligence, qu'il est simplement spirituel , incorruptible et immuable.

 

Or, cette considération s'étend aux sept conditions sous lesquelles les créatures peuvent être envisagées, et elle offre ainsi un témoignage sept fois répété de la puissance, de la sagesse et de la bonté de Dieu ; ces conditions sont l'origine, la grandeur, la multitude, la beauté, la plénitude, l'opération et l'ordre de toutes choses.

 

En effet, l'origine des choses, si on l'envisage dans l’œuvre des six jours , au point de vue de la création, de la distinction et de l'ornement, nous annonce la puissance de Dieu qui a tout tiré du néant, sa sagesse qui a tout coordonné avec un enchaînement lumineux, et sa bonté qui a répandu sur tous ses dons les plus abondants.

 

La grandeur des choses , considérée selon la longueur, la largeur et la profondeur de leur substance; selon l'excellence de leur vertu, qui s'étend également en longueur, en largeur et en profondeur, comme dans la diffusion de la lumière; selon l'efficace de leur action intime, continuelle et répandue partout, comme on le voit dans l'action du feu ; cette grandeur, dis-je , nous manifeste clairement l'immensité de la puissance, de la sagesse et de la bonté du Dieu qui est un et trois en même temps, et qui existe en toutes ses créatures par sa puissance , sa présence et son essence sans être circonscrit par aucune d'elles.

 

La multitude des choses dans leur diversité générique, spéciale et individuelle, dans leur substance, leur forme et leur efficacité, qui dépasse toute appréciation humaine, montre également avec éclat l'immensité des trois attributs divins dont nous avons parlé.

 

La beauté des choses, examinée selon la variété de la lumière , des formes et des couleurs, dans les corps simples , dans les corps mixtes et dans les corps participant aux qualités des deux autres espèces, dans tous les corps, en un mot , comme les astres, les minéraux, les pierres précieuses et les métaux, les plantes et les animaux ; cette beauté, dis-je , proclame hautement ces mêmes attributs.

 

La plénitude, selon que la matière est remplie de formes diverses pour se reproduire; ces formes pleines d'une vertu puissante d'action , cette vertu elle-même abondante en effets réels, tout cela nous donne les mêmes enseignements.

 

L'opération multiple des créatures, soit naturelle, soit artificielle, soit morale, nous découvre encore, dans sa variété si nombreuse, l'immensité de cette puissance, de cette sagesse et de cette bonté en qui tous les êtres trouvent la cause de leur existence, la raison qui les éclaire et la règle de leur vie.

 

L'ordre des choses, considéré au point de vue de leur durée, de leur situation, de leur influence, ou autrement dans ce qui les précède et ce qui les suit, dans ce qui est supérieur et ce qui est inférieur, dans ce qui est grand et ce qui est vil , nous montre hautement dans le livre de la création la souveraineté par excellence du premier principe quant à sa puissance infinie. L'ordre des lois divines , des préceptes et des jugements, nous fait voir dans le livre des Écritures sa sagesse sans bornes; et l'ordre des sacrements , des grâces et des récompenses ,. dans le corps de l’Église, annonce sa bonté immense, et ainsi cet ordre nous conduit clairement, comme par la main, à celui qui est le premier entre tous , à celui qui est souverainement puissant, souverainement sage et souverainement parfait.

 

Celui qui n'est point illuminé par l'éclat si radieux des choses créées , est donc aveugle ; celui que leur voix puissante n'éveille pas est sourd; celui que tant d’œuvres admirables n'inclinent pas à aimer Dieu est muet; celui qui, à des indices si lumineux, ne reconnaît pas ce principe suprême, est un insensé.

 

Ouvrez donc les yeux, prêtez l'oreille de votre âme, déliez vos lèvres, appliquez votre cœur, afin de voir Dieu en toutes ses créatures, de l'entendre, de le louer, de l'aimer, de lui rendre vos hommages, de proclamer sa grandeur et de l'honorer, si vous ne voulez pas que l'univers s'élève contre vous. Car le monde entier combattra contre les insensés qui n'auront pas agi de la sorte, tandis qu'il sera une source de gloire pour le sage, pour celui qui peut s'écrier avec le prophète : Seigneur, la vue de vos créatures m'a rempli d'allégresse, et je ferai éclater ma joie en louant les ouvrages de vos mains. Que vos œuvres sont grandes et admirables, Seigneur, vous avez fait toutes choses avec une sagesse souveraine. La terre est toute remplie des biens dont vous la comblez (1).

 

1 Ps. 103.

 

 

 

Source: Itinéraire de l'Âme à Dieu - Saint Bonaventure - Œuvres spirituelles

 

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