28/09/2015
Sur la communion sacramentelle et la communion spirituelle pour les "divorcés-remariés": une analyse approfondie
Une analyse approfondie de la question de la communion spirituelle pour les personnes "divorcées-remariées" par la revue théologique des Dominicains Nova et Vetera a été rapportée dans un article consacré à ce sujet sur Chiesa espresso :
ROME, le 31 décembre 2014 – L’un des trois paragraphes du rapport final du synode qui n’ont pas obtenu l'approbation des deux tiers des pères synodaux est celui qui concerne la communion spirituelle des divorcés remariés.
C’est le paragraphe 53, qui dit textuellement :
"Certains pères ont soutenu que les personnes divorcées et remariées ou vivant en concubinage peuvent recourir de manière fructueuse à la communion spirituelle. D’autres pères se sont demandé pourquoi, alors, elles ne pouvaient accéder à la communion sacramentelle. Un approfondissement de cette thématique est donc requis afin de permettre de faire ressortir la spécificité de ces deux formes et leur lien avec la théologie du mariage".
(...)
La communion spirituelle, en effet, peut être comprise de différentes manières et, pour cette raison, donner lieu à des équivoques qui peuvent même être graves.
Le texte qui suit a été écrit justement afin de clarifier ce point.
Son auteur est le théologien dominicain Paul Jerome Keller, qui est professeur à l'Athenæum of Ohio de Cincinnati, et il a été publié dans le plus récent numéro de l'édition en anglais de "Nova et Vetera". Cette revue de théologie s’était déjà fait remarquer, l’été dernier, en publiant un numéro spécial consacré aux thèmes du synode, sous la forme de huit essais rédigés par le même nombre de savants dominicains américains et prenant des positions différentes de celles du cardinal Kasper.
Les liens permettant d’accéder aux huit articles de ce numéro spécial, en cinq langues, sont disponibles sur la home page de la revue :
> Nova et Vetera
Le nouvel article de Keller peut également être lu dans son intégralité :
> Is Spiritual Communion for Everyone?
Les principaux passages de cet article peuvent être lus ci-dessous.
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LA COMMUNION SPIRITUELLE EST-ELLE ACCESSIBLE À TOUS ?
par Paul Jerome Keller, O.P.
Presque oubliée, peut-être, par un bon nombre de catholiques (la plupart d’entre eux n’en ayant même jamais entendu parler) jusqu’à ce que, récemment, le cardinal Walter Kasper y fasse référence, la notion de communion spirituelle a fait, ces derniers temps, les gros titres de la presse catholique. […]
Le cardinal Kasper [...] admet que la communion spirituelle s’applique non pas à tous les divorcés, mais seulement à ceux qui sont dans de bonnes dispositions. Mais il pose alors une question : si une personne qui reçoit la communion spirituellement ne fait qu’un avec Jésus-Christ, comment peut-elle être en opposition avec les commandements du Christ ? Pourquoi, dans ce cas, cette même personne ne peut-elle pas recevoir la communion sacramentelle ? […]
Ce qui est en question, avant tout, c’est la signification de la communion spirituelle. […] Ce que nous appelons communément, de nos jours, "communion spirituelle" est ce qui, pour Saint Thomas d'Aquin, est une communion de désir ("in voto"). Et elle est distincte de la réception spirituelle qui est l'effet que l’on attend d’une réception réelle de la sainte communion. Thomas compare la communion "in voto" au baptême de désir ("flaminis"). Un exemple typique de baptême de désir est le cas d’un catéchumène à qui, s’il meurt avant d’avoir reçu le baptême de l’eau mais en ayant manifesté de manière explicite son désir d’être baptisé, le salut est assuré (Catéchisme de l’Église Catholique, n° 1259). […]
Le concile de Trente à propos de la communion spirituelle
Le concile de Trente, faisant référence aux enseignements des Pères de l’Église, explique de la manière suivante la distinction entre les trois manières de recevoir la sainte communion :
“[Certains la reçoivent] seulement de manière sacramentelle parce qu’ils sont pécheurs. D’autres la reçoivent seulement de manière spirituelle ; ce sont ceux qui, recevant par le désir le pain céleste qui leur est offert, avec une foi vivante 'à travers l'amour' (Gal. 5,6), en reçoivent les fruits et en tirent profit. Un troisième groupe la reçoit de manière à la fois sacramentelle et spirituelle (canon 8) : ce sont ceux qui s’examinent et qui se préparent par avance à s’approcher de cette table divine, ayant revêtu l’habit de noces (cf. Mt. 22, 11 sq.)”.
Dans le chapitre qui précède immédiatement cet enseignement relatif à la réception de l’eucharistie, le concile insiste sur le fait que la sainte eucharistie ne peut être reçue que de manière digne. […] Le canon 11 de ce même concile est encore plus explicite :
"Si quelqu’un dit que la foi seule est une préparation suffisante pour recevoir le sacrement de la très sainte eucharistie : qu’il soit anathème. Et pour qu’un si grand sacrement ne soit pas reçu de manière indigne et donc pour la mort et la condamnation, ce saint concile statue et déclare que ceux dont la conscience est chargée d’un péché mortel, quelque contrits qu’ils se jugent, doivent nécessairement au préalable se confesser sacramentellement, s’il se trouve un confesseur. Si quelqu’un a l’audace d’enseigner, de prêcher ou d’affirmer opiniâtrement le contraire ou même de le défendre dans des disputes publiques, qu’il soit par le fait même, excommunié". […]
La signification de la communion spirituelle dans les documents récents
Il est assez surprenant que l’on ne trouve de mention de la communion eucharistique spirituelle ni dans aucune des quatre constitutions du concile Vatican II ni dans le Catéchisme de l’Église Catholique. C’est, peut-être, pour cette raison que l'idée de faire une communion spirituelle n’est pas un choix auquel les fidèles de notre temps sont habitués. Lorsque la communion spirituelle est mentionnée dans l’enseignement officiel de l’Église [de Jean-Paul II et de Benoît XVI], il semble que ce soit uniquement sous la forme d’une communion de désir. […]
C’est dans ce contexte que nous pouvons continuer à examiner la question posée par le cardinal Kasper à propos de l’accès des divorcés remariés à la sainte communion, en faisant bien comprendre ce qui est mis en jeu dans le cas de la communion spirituelle.
À qui est-il permis de faire une communion spirituelle ?
Lorsque le cardinal Kasper [...] demande comment il est possible qu’une personne qui ne fait qu’un avec Jésus-Christ parce qu’elle a communié de manière spirituelle soit en contradiction avec les commandements du Christ, il arrive au cœur du problème, parce que l’on doit accepter le Christ dans son intégralité pour être en communion avec lui. Étant donné que le Christ a établi le lien du mariage sacramentel comme étant indissoluble et que, pour cette raison, il ne permet pas que l’on divorce et que l’on contracte un nouveau mariage, une personne qui cherche à se remarier alors que son précédent lien sacramentel de mariage continue à exister n’est pas en droit de prétendre qu’elle ne fait qu’un avec Jésus-Christ, parce que sa situation est en contradiction au moins avec cette partie des commandements du Christ.
C’est pourquoi cette personne n’est pas en mesure de recevoir la communion, ni de manière sacramentelle ni même de manière spirituelle. Seule une personne qui s’efforce véritablement de rectifier ce qui l’empêche d’accéder à la pleine communion avec le Christ peut commencer à être en situation de faire une communion spirituelle. […]
Par conséquent - pour répondre à la préoccupation exprimée par le cardinal Kasper - oui, la personne qui fait une communion spirituelle devrait également pouvoir faire une communion sacramentelle, si elle est dans les dispositions convenables pour cela. Cependant il n’est pas admissible que quelqu’un qui n’est pas dans les dispositions convenables pour faire la communion sacramentelle puisse être considéré comme étant en mesure de faire une communion spirituelle, quelles que puissent être les circonstances.
Clarifications nécessaires
Si l’on se réfère à la distinction thomiste entre la communion spirituelle en tant que repas spirituel ("spiritualis manducatio") et en tant que désir spirituel ("in voto"), il est clair que, pour une personne qui a créé un obstacle à son union avec le Christ en vivant sans respecter ses commandements, aucune de ces deux formes de communion spirituelle n’est possible. Utiliser le même terme, communion spirituelle, pour se référer à deux situations morales différentes et à deux rapports très différents avec l’eucharistie pose un problème.
Nous parlons ici des dispositions correctes par rapport aux dispositions incorrectes pour chacun des deux types de communion. Bien que [l'exhortation apostolique post-synodale de 2007] "Sacramentum caritatis" utilise de manière impropre l’expression "communion spirituelle" pour désigner une possibilité ouverte aux divorcés remariés, une interprétation possible est que le Saint-Père a souhaité encourager ces personnes à commencer à "désirer" la sainte communion de manière appropriée et par conséquent à rectifier leur situation morale. Dans le cas contraire, l’expression indiquerait que quelqu’un qui n’est pas dans les dispositions appropriées pour la communion sacramentelle pourrait néanmoins faire une communion spirituelle. Cette confusion conduit à la question logique qui est posée par le cardinal Kasper. Si on permet à quelqu’un de faire une communion spirituelle, alors pourquoi pas une communion sacramentelle ?
Il convient d’éviter l'erreur qui consiste à considérer qu’une communion spirituelle est ce qui remplace la communion sacramentelle pour les divorcés remariés et, en définitive, pour toutes les personnes qui sont empêchées de recevoir l'eucharistie parce qu’elles sont en état de péché mortel. Au point de vue pastoral, le danger qui est inhérent à cette croyance erronée est que l’erreur et la confusion à propos de la doctrine de l’Église finissent par prédominer, conduisant les gens à penser que le péché qui empêche la communion sacramentelle "n’est, au fond, pas si grave que cela", puisque, en tout état de cause, on peut avoir à sa disposition la réalité de la communion. […]
Ce qui est nécessaire à tout le monde, dans quelque état de vie que ce soit, pour être en mesure de recevoir les grâces résultant de la communion avec le Christ, que celle-ci soit sacramentelle ou spirituelle, c’est une conversion intérieure au Christ et une manifestation de cette conversion dans les actions extérieures et dans la manière de vivre. […]
Implications cultuelles
[…] La grâce est sans cesse au travail. Même la "préparation de l’homme à l’accueil de la grâce est déjà une œuvre de la grâce" (Catéchisme de l’Église Catholique, n° 2001). […] Nous ne devons pas rendre imperceptible la distinction qui existe entre le fait de vivre en état de grâce et la grâce d’être incités à la contrition. […] C’est ainsi que le pape Jean-Paul II [dans "Familiaris consortio”] incite les divorcés remariés à s’ouvrir à l'action effective de la grâce, par exemple en écoutant les Saintes Écritures, en se rendant à la messe, en priant, etc.
Le pape nous instruit à propos de ce qui est l'essence du culte chrétien. […] Depuis la révélation du Christ et l'institution du sacrement de l’eucharistie, la seule forme convenable de l’adoration qui est due à Dieu a toujours été pratiquée à travers le Christ et en lui, et elle s’accomplit au plus haut degré dans la célébration de la sainte liturgie. Cela est vrai pour tous les baptisés, qu’ils soient ou non en mesure de participer à la sainte communion. […] Il n’y a personne qui ne puisse tirer profit de la participation à la messe, c’est-à-dire de la célébration liturgique. Même les personnes qui ne peuvent pas accéder à l’expression la plus complète du culte, c’est-à-dire le fait de recevoir la sainte communion, sont toujours en mesure de recevoir des grâces prévenantes en raison de leur repentir, mais aussi des grâces effectives en raison de leur adoration.
Pas la famine, mais la faim
En réponse aux questions posées par le cardinal Kasper à propos de l'accès des divorcés remariés à la sainte communion, nous avons donc montré que celui-ci n’est pas possible. […]
Depuis le temps où saint Paul a donné son enseignement jusqu’à l’époque actuelle, la tradition de l’Église a enseigné de manière constante que les personnes qui reçoivent la sainte communion doivent nécessairement être en état de grâce. […] Même s’il peut y avoir une certaine confusion en ce qui concerne la signification de la communion spirituelle dans le récent enseignement magistériel, il reste fermement établi qu’une véritable communion spirituelle est possible uniquement dans le cas de quelqu’un qui serait normalement disposé à recevoir la communion sacramentelle. […]
Contrairement à ce que le cardinal Kasper semble suggérer, l’Église ne demande pas que les divorcés remariés trouvent le salut de manière extra-sacramentelle. Ce qui leur est proposé, c’est la même possibilité de conversion et de pleine communion – ecclésiale et sacramentelle – qui est offerte à toute autre personne. […] Le cardinal s’interroge : est-ce que ce fait de ne pas pouvoir recevoir l'eucharistie n’est pas un prix trop élevé à payer ? La réponse à cette question dépend de la volonté de l'individu d’être conforme au Christ. Cependant il faut que nous soyons clairs. Ce n’est pas l’Église qui crée l'obstacle qui empêche de parvenir à la pleine communion, mais c’est plutôt l'individu qui perpétue sa décision de porter atteinte à un lien matrimonial sacramentel. […]
Le cardinal Kasper lance par ailleurs la manœuvre de diversion que voici : est-ce que la règle qui ne permet pas de recevoir l'eucharistie ne constitue pas une exploitation de la personne qui est en train de souffrir et d’appeler au secours, comme si nous faisions de cette personne un signal et un avertissement pour les autres ? Cette question fait plus que suggérer que l’Église n’a pas à se préoccuper de protéger les fidèles contre la condamnation que, d’après l’avertissement qui est lancé par saint Paul, ils attirent sur eux-mêmes. En effet, dans le cas où l’Église resterait passive et où elle permettrait à des personnes qui ne seraient pas dans de bonnes dispositions pour cela de recevoir la sainte communion, elle s’exposerait à être jugée pour une autre forme d’exploitation : l'incapacité à empêcher ses enfants de faire ce qui est mal et de commettre des péchés, ainsi que l'incapacité à protéger fidèlement et à dispenser les sacrements. Cette vigilance dont l’Église fait preuve depuis des siècles n’est pas de l’exploitation ou de la manipulation ; c’est purement et simplement de la charité. C’est la préoccupation de la mère de famille qui veille à ce que ses enfants n’ingèrent pas un médicament qui n’est pas le bon et qui pourrait devenir un poison pour eux. […]
Il n’y a pas d’exploitation de la personne qui souffre, que celle-ci soit un divorcé remarié ou bien un catéchumène (qui doit lui aussi être rendu juste de manière sacramentelle avant qu’il ne reçoive la sainte communion). Il n’y a que la main transpercée que nous tend le Crucifié ressuscité. À travers l’Église, celui-ci offre le salut à toute personne qui choisit de se tourner vers le Christ, en se confiant à lui seul même au moment de prendre les décisions les plus difficiles de la vie. Le Christ offre continuellement son corps et son sang afin que tous ceux qui choisissent d’endosser l’habit blanc de noces (cf. Mt 22, 11-14 ; Ap 19, 8) puissent accéder à son banquet éternel.
La fête de l’eucharistie est présentée devant tout un chacun, disposée de telle manière que nous ayons tous la possibilité d’avoir une faim toujours croissante du pain de vie, que ce soit de manière sacramentelle ou spirituelle. Pour chacun des chrétiens, la contrition est ce qui transforme la famine en faim, une faim que le Christ promet de satisfaire bien au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer.
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Dans son essai, Keller fait, à plusieurs reprises, référence à un article paru en 2011 dans l'édition suisse de "Nova et Vetera", qui a été rédigé par son confrère dominicain Benoît-Dominique de La Soujeole :
> Communion sacramentelle et communion spirituelle
La Soujeole fait, dans cet article, une distinction entre la communion de désir et le désir de communion.
Cette distinction, Keller la reprend et la précise. Il préfère employer l’expression "communion de désir" dans le cas des personnes qui ne peuvent pas communier de manière sacramentelle en raison d’empêchements uniquement extérieurs et l’expression "désir de communion" dans le cas des personnes qui ne remplissent pas les conditions nécessaires pour accéder à la communion sacramentelle mais qui sont sincèrement désireuses de faire disparaître ces obstacles.
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Par Sandro Magister. Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
10:30 Publié dans Liturgie et Sacrements, Religion | Tags : synode sur la famille, communion sacramentelle, communion spirituelle, divorcés-remariés, nova et vetera | Lien permanent | Commentaires (0)
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