13/04/2016
L'encyclique Veritatis Splendor met en garde contre la proposition d'un "double statut de la vérité morale": doctrine abstraite et situations concrètes
55. Suivant l'opinion de divers théologiens, la fonction de la conscience aurait été réduite, au moins pendant certaines périodes du passé, à une simple application de normes morales générales aux cas particuliers qui se posent au cours de la vie d'une personne. Mais de telles normes, disent-ils, ne peuvent être aptes à accueillir et à respecter la spécificité intégrale et unique de chacun des actes concrets des personnes ; elles peuvent aussi aider en quelque manière à une juste évaluation de la situation, mais elle ne peuvent se substituer aux personnes dans leurs décisions personnelles sur le comportement à adopter dans des cas déterminés. Dès lors, cette critique de l'interprétation traditionnelle de la nature humaine et de son importance pour la vie morale amène certains auteurs à affirmer que de telles normes sont moins un critère objectif et contraignant pour les jugements de conscience qu'une perspective générale qui, en première approximation, aide l'homme à ordonner avec cohérence sa vie personnelle et sa vie sociale. Ces auteurs relèvent encore la complexité propre au phénomène de la conscience : elle se réfère intimement à toute la sphère psychologique et affective ainsi qu'aux multiples influences de l'environnement social et culturel de la personne. D'autre part, on exalte au plus haut point la valeur de la conscience, définie par le Concile lui-même comme « le sanctuaire de l'homme, le lieu où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre ». Cette voix, dit-on, amène l'homme moins à une observation scrupuleuse des normes universelles qu'à une prise en compte créative et responsable des missions personnelles que Dieu lui confie.
Dans leur volonté de mettre en relief le caractère « créatif » de la conscience, certains auteurs donnent à ses actes le nom de « décisions » et non plus de « jugements » : c'est seulement en prenant ces décisions de manière « autonome » que l'homme pourrait atteindre sa maturité morale. Il ne manque pas d'esprits pour estimer que ce processus de maturation se verrait contrarié par la position trop catégorique que prend, sur bien des questions morales, le Magistère de L’Église, dont les interventions feraient naître, chez les fidèles, d'inutiles conflits de conscience.
56. Pour justifier de telles positions, certains ont proposé une sorte de double statut de la vérité morale. En plus du niveau doctrinal et abstrait, il faudrait reconnaître l'originalité d'une certaine considération existentielle plus concrète. Celle-ci, compte tenu des circonstances et de la situation, pourrait légitimement fonder des exceptions à la règle générale et permettre ainsi d'accomplir pratiquement, avec une bonne conscience, ce que la loi morale qualifie d'intrinsèquement mauvais. Ainsi s'instaure dans certains cas une séparation, voire une opposition, entre la doctrine du précepte valable en général et la norme de la conscience de chacun, qui déciderait effectivement, en dernière instance, du bien et du mal. Sur ce fondement, on prétend établir la légitimité de solutions prétendument « pastorales », contraires aux enseignements du Magistère, et justifier une herméneutique « créatrice », d'après laquelle la conscience morale ne serait nullement obligée, dans tous les cas, par un précepte négatif particulier.
Il n'est personne qui ne comprenne qu'avec ces positions on se trouve devant une mise en question de l'identité même de la conscience morale face à la liberté de l'homme et à la Loi de Dieu. Seuls les éclaircissements apportés plus haut sur le lien entre liberté et loi, lien fondé sur la vérité, rendent possible le discernement à faire sur cette interprétation « créative » de la conscience. [...]
67. [...] Si l'on considère les préceptes moraux positifs, la prudence doit toujours vérifier leur pertinence dans une situation déterminée, en tenant compte, par exemple, d'autres devoirs peut-être plus importants ou plus urgents. Mais les préceptes moraux négatifs, c'est-à-dire ceux qui interdisent certains actes ou comportements concrets comme intrinsèquement mauvais, n'admettent aucune exception légitime ; ils ne laissent aucun espace moralement acceptable pour « créer » une quelconque détermination contraire. Une fois reconnue dans les faits la qualification morale d'une action interdite par une règle universelle, le seul acte moralement bon consiste à obéir à la loi morale et à éviter l'action qu'elle interdit.
68. Il faut ajouter une importante considération pastorale. Dans la logique des positions mentionnées plus haut, l'homme pourrait, en vertu d'une option fondamentale, rester fidèle à Dieu, indépendamment de la conformité ou de la non-conformité de certains de ses choix et de ses actes délibérés avec les normes ou les règles morales spécifiques. En raison d'une option première pour la charité, l'homme pourrait demeurer moralement bon, persévérer dans la grâce de Dieu, gagner son salut, même si certains de ses comportements concrets étaient délibérément et gravement contraires aux commandements de Dieu, toujours enseignés par l’Église.
En réalité, l'homme ne se perd pas seulement par l'infidélité à l'option fondamentale, grâce à laquelle il s'est remis « tout entier et librement à Dieu ». Avec chaque péché mortel commis de manière délibérée, il offense Dieu qui a donné la Loi et il se rend donc coupable à l'égard de la Loi tout entière (cf. Jc 2, 8-11) ; tout en restant dans la foi, il perd la « grâce sanctifiante », la « charité » et la « béatitude éternelle ». « La grâce de la justification, enseigne le Concile de Trente, une fois reçue, peut être perdue non seulement par l'infidélité, qui fait perdre la foi elle-même, mais aussi par tout autre péché mortel ».
Encyclique Veritatis Splendor sur quelques questions fondamentales de l'enseignement moral de l'Église.
21:45 Publié dans Foi/Doctrine/pastorale, Pape | Tags : morale de situation, morale objective, solutions pastorales, amoris laetitia | Lien permanent | Commentaires (0)
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