26/11/2015
Pierre Lestienne, poète de la famille
Né à Roubaix, le 5 septembre 1872, le poète des Étincelles du foyer a mené dans sa ville natale l'existence la plus unie, la plus calme, la plus modérée en ses désirs, celle d'un sage qui serait un chrétien. Nuls événements que les naissances des enfants, - le poète, qui en eut seize, fut à juste titre vice-président de "La plus grande famille" - et que la conduite de ses affaires, - il est industriel. Ce qu'une telle vie, cependant, comporte en fin de compte, de résultats en tout genre, d’utilités profondes, d'enseignements, de grave beauté, on l'entrevoit assez.
Pendant la guerre qui signifia invasion pour nos foyers du Nord , - les plus peuplés cependant - des documents officiels de propagande française reproduisirent la photographie du poète au centre de sa famille, et c'est bien; mais il eût fallu y joindre quelques-uns au moins de ces sonnets, où, comme le fit Plantin au XVIe siècles, il a chanté le vrai bonheur de ce monde.
Peu de poètes à l'heure actuelle nourrissent une pensée aussi élevée que M. Pierre Lestienne; peu aussi ont sa modestie, car c'est en 1925, seulement, qu'il s'est résolu à publier Les Étincelles du foyer (Cahiers de l'Amitié de France et de Flandre). Plusieurs de ses poésies, il est vrai, parues dans Le Correspondant, lui avaient déjà valu des amitiés telles que celle de René Bazin, et avaient porté déjà aux quatre coins de la France comme un écho de la cloche joyeuse des baptêmes.
A mon dixième enfant…
Maintenant qu’il est né, le fils de notre amour,
Qu’une goutte de lait perle sa lèvre rose,
Que la mère a souri dès qu’il a vu le jour,
Que ma crainte s’apaise et que mon cœur repose,
Il me monte un orgueil de nos dix têtes blondes,
Car l’honneur est sublime, à qui sait le comprendre,
De recevoir ainsi, du Créateur des mondes,
Tant de fronts à bénir, tant d’âmes à lui rendre !
Et puis, il nous paraît qu’au-dessus des berceaux
Blancs et silencieux, comme de grands oiseaux,
Les anges du bonheur, se penchent côte à côte ;
Et de les savoir là, nous nous sentons plus forts,
C’est pourquoi je rends grâce au Chérubin, mon hôte,
A mon dixième enfant, au nouveau-né qui dort…
Amour vrai
Que ton repos est calme, et que ton front est pur,
O mon amie, à l'heure sainte où la nuit règne,
Où la veilleuse fait des ombres sur le mur
Et prête un peu de vie au crucifix qui saigne.
Dans la chambre attiédie aux contours imprécis,
Je sens qu'en ton sommeil tu penches tout ton être
Sur mon épaule, et que, comme les tout petits,
En dormant, ton amour sait encore me connaître.
Les enfants se sont tus, et la chère maison
Est muette, et le jardin vide de floraison
Prends des teintes d'argent sous les rayons de lune.
Tu dors, et tu souris quand je te dis tout bas
Que ta vie est ma vie, et que nulle infortune
Ne saurait me trouver qui ne t'effleure pas.
Noces d'argent
Depuis les vingt-cinq ans que j'ai franchi ton seuil,
Et que j'ai vu ton front s'orner de tant de choses,
Depuis que, méprisant la vanité des choses,
En ton bonheur fécond j'ai mis mon seul orgueil,
Mon coeur n'a plus voulu s'ouvrir à d'autre accueil,
Et je sais qu'en moi seul aussi tu te reposes;
Maintenant qu'au-dessus de cieux clairs ou moroses,
Notre amour a grandi jusqu'aux cimes du deuil,
Que nos joies ont pour lui moins de prix que nos larmes,
Et qu'à l'angoisse même il a prêté des charmes,
Ne craignons plus de voir notre été s'achever :
L'âme garde en nos yeux sa lueur immortelle,
Et la tienne y scintille ardente, douce, et telle
Qu'à l'aube de l'hymen je n'osais la rêver !...
A mes fils…
D’un pas délibéré, mon fils, va ton chemin ;
Sache peser un acte et regarder en face
Le devoir qui grandit, près du plaisir qui lasse ;
Quand tu donnes, souris, et tends aussi la main.
Si tu possèdes peu, ne désire plus rien…
Trop souvent la richesse a fait sombrer la race ;
Aime plutôt l’effort, garde ton bras vivace,
Et qu’autour de ton nom flotte un parfum chrétien.
Veux-tu, sous le fardeau, n’être jamais vulgaire ?
Ne marche pas, courbé, les yeux fixés à terre
Comme un morne valet de la réalité ;
Mais sur ton front levé, quand la labeur s’achève,
En abreuvant ton âme aux sources de beauté,
Laisse passer un peu d’idéal et de rêve !
Les mains maternelles
Il faut les vénérer, les chères mains, fidèles
Et le jour et la nuit à leur devoir obscur,
Instruments délicats de l'amour le plus pur,
Tendres mains maternelles !
Sur le front de nos fils, ô les mains bénissantes
Que ne surchargent point d'inutiles anneaux !
Vous dominez le monde en poussant les berceaux,
Frêles mains si puissantes !
Mains pâles des mamans où se lit leur souffrance,
Où la plus mince veine inscrit son bleu réseau,
Laissez-nous vous baiser comme on baise un drapeau,
Mains pleines d'espérance !
Quand l'angoisse saisit nos âmes défaillantes,
Ou que notre horizon par degrés s'embrunit,
C'est vous qui vous rendez vers l'azur infini,
Nobles mains suppliantes !
O mères, patients sculpteurs des jeunes âmes,
C'est au creux de vos mains, comme en des nids charmants,
Que viennent se blottir les petits coeurs aimants,
O douces mains des femmes !
Tandis que trop de mains, pour rester les plus belles,
D'un geste criminel repoussent les enfants,
Vous cultivez les fleurs de nos futurs printemps,
Vous, les mains maternelles.
Et le grand jour venu, seules vos mains vaillantes,
Vos fières mains sans tache, ô les mères sans peur,
Oseront sans remords étreindre du vainqueur
Les rudes mains sanglantes
(écrit pendant la guerre)
Source : Les poètes de la famille. Du XVI au XXe siècle. Casterman. Paris - Tournai. s.d.
12:00 Publié dans Culture et société, Famille | Tags : poésie française, littérature, famille, famille chrétienne, famille nombreuse, foyer chrétien | Lien permanent | Commentaires (0)
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