10/12/2015
Encyclique Veritatis Splendor sur l'enseignement moral de l'Église - IV - "Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir"
LETTRE ENCYCLIQUE
VERITATIS SPLENDOR
DU SOUVERAIN PONTIFE
JEAN-PAUL II
À TOUS LES ÉVÊQUES
DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE
SUR QUELQUES QUESTIONS FONDAMENTALES
DE L'ENSEIGNEMENT MORAL DE L'ÉGLISE
CHAPITRE I - «MAÎTRE, QUE DOIS-JE FAIRE DE BON?» (Mt 19, 16) - Le Christ et la réponse à la question morale
(...)
« Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements » (Mt 19, 17)
12. Seul Dieu peut répondre à la question du bien, parce qu'il est le Bien. Mais Dieu a déjà répondu à cette question : il l'a fait en créant l'homme et en l'ordonnant avec sagesse et avec amour à sa fin, par le moyen de la loi inscrite dans son cœur (cf. Rm 2, 15), la « loi naturelle ». Elle « n'est rien d'autre que la lumière de l'intelligence, infusée en nous par Dieu. Grâce à elle, nous connaissons ce que nous devons accomplir et ce que nous devons éviter. Cette lumière et cette loi, Dieu les a données dans la création » 19. Il les a données ensuite au cours de l'histoire d'Israël, en particulier par les « dix paroles », c'est-à-dire les commandements du Sinaï, par lesquels Il a fondé l'existence du peuple de l'Alliance (cf. Ex 24) et l'a appelé à être son « bien propre parmi tous les peuples », « une nation sainte » (Ex 19, 5-6) qui fasse resplendir sa sainteté parmi toutes les nations (cf. Sg 18, 4 ; Ez 20, 41). Le don du Décalogue est promesse et signe de l'Alliance nouvelle, lorsque la Loi sera nouvellement inscrite à jamais dans le cœur de l'homme (cf. Jr 31, 31-34) en remplaçant la loi du péché qui avait dénaturé ce cœur (cf. Jr 17, 1). Alors sera donné « un cœur nouveau », car « un esprit nouveau » l'habitera, l'Esprit de Dieu (cf. Ez 36, 24-28) 20.
C'est pourquoi, après l'importante précision « un seul est le Bon », Jésus répond au jeune homme : « Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements » (Mt 19, 17). De cette manière est énoncé un lien étroit entre la vie éternelle et l'obéissance aux commandements de Dieu : ce sont les commandements de Dieu qui indiquent à l'homme le chemin de la vie et qui conduisent vers elle. Par la bouche même de Jésus, nouveau Moïse, les commandements du Décalogue sont redonnés aux hommes ; lui- même les confirme définitivement et nous les propose comme chemin et condition du salut. Le commandement est lié à une promesse : dans l'Ancienne Alliance, l'objet de la promesse était la possession d'une terre où le peuple aurait pu mener son existence dans la liberté et selon la justice (Dt 6,20-25) ; dans la Nouvelle Alliance, l'objet de la promesse est le « Royaume des cieux », comme Jésus l'affirme au début du « Discours sur la Montagne » - discours qui contient la formulation la plus large et la plus complète de la Loi nouvelle (Mt 5-7) -, en relation évidente avec le Décalogue confié par Dieu à Moïse sur la montagne du Sinaï. À la même réalité du Règne de Dieu se rapporte l'expression « vie éternelle », qui est participation à la vie même de Dieu : celle-ci ne se réalise parfaitement qu'après la mort, mais, dans la foi, elle est dès à présent lumière de vérité, source de sens pour la vie et commencement de participation à la plénitude dans la suite du Christ. En effet, après la rencontre avec le jeune homme riche, Jésus dit à ses disciples : « Quiconque aura laissé maisons, frères, sœurs, père, mère, enfants ou champs, à cause de mon nom, recevra bien davantage et aura en héritage la vie éternelle » (Mt 19,29).
13. La réponse de Jésus ne suffit pas au jeune homme qui insiste en interrogeant le Maître sur les commandements à observer : « " Lesquels ? " lui dit-il » (Mt 19, 18). Il demande ce qu'il doit faire dans la vie pour manifester qu'il reconnaît la sainteté de Dieu. Après avoir orienté le regard du jeune homme vers Dieu, Jésus lui rappelle les commandements du Décalogue qui ont trait au prochain : « Jésus reprit : " Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d'adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, honore ton père et ta mère, et tu aimeras ton prochain comme toi-même " » (Mt 19, 18-19).
Du contexte de l'échange, et spécialement de la confrontation du texte de Matthieu avec les passages parallèles de Marc et de Luc, il ressort que Jésus n'entend pas dresser la liste de tous les commandements nécessaires pour « entrer dans la vie », mais plutôt qu'il entend attirer l'attention du jeune homme sur la « centralité » du Décalogue par rapport à tout autre précepte, en tant qu'interprétation de ce que signifie pour l'homme : « Je suis le Seigneur, ton Dieu ». [*] Nous ne pouvons donc pas ne pas prêter attention aux commandements de la Loi que le Seigneur Jésus rappelle au jeune homme ; ce sont des commandements qui font partie de ce qu'on appelle la « seconde table » du Décalogue, dont le résumé (cf. Rm 13, 8-10) et le fondement sont le commandement de l'amour du prochain : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 19, 19 ; cf. Mc 12, 31). Dans ce commandement s'exprime précisément la dignité particulière de la personne humaine, qui est la « seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même » 21. Les différents commandements du Décalogue ne sont en effet que la répercussion de l'unique commandement du bien de la personne, au niveau des nombreux biens qui caractérisent son identité d'être spirituel et corporel en relation avec Dieu, avec le prochain et avec le monde matériel. Comme nous lisons dans le Catéchisme de l’Église catholique, « les dix commandements appartiennent à la révélation de Dieu. Ils nous enseignent en même temps la véritable humanité de l'homme. Ils mettent en lumière les devoirs essentiels et donc, indirectement, les droits fondamentaux, inhérents à la nature de la personne humaine » 22.
Les commandements rappelés par Jésus à son jeune interlocuteur sont destinés à sauvegarder le bien de la personne, image de Dieu, par la protection de ses biens. « Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d'adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage », sont des normes morales formulées en termes d'interdits. Les préceptes négatifs expriment fortement la nécessité imprescriptible de protéger la vie humaine, la communion des personnes dans le mariage, la propriété privée, la véracité et la bonne réputation.
Les commandements représentent donc la condition de base de l'amour du prochain ; en même temps, ils en sont la vérification. Ils sont la première étape nécessaire sur le chemin vers la liberté, son commencement : « La première liberté, écrit saint Augustin, c'est donc de ne pas commettre de péchés graves... comme l'homicide, l'adultère, les souillures de la fornication, le vol, la tromperie, le sacrilège et toutes les autres fautes de ce genre. Quand un homme s'est mis à renoncer à les commettre — et c'est le devoir de tout chrétien de ne pas les commettre —, il commence à relever la tête vers la liberté, mais ce n'est qu'un commencement de liberté, ce n'est pas la liberté parfaite... » 23.
14. Cependant ceci ne signifie pas que Jésus entend privilégier l'amour du prochain ou encore moins le séparer de l'amour de Dieu ; en témoigne son dialogue avec le docteur de la Loi : ce dernier, qui pose une question très voisine de celle du jeune homme, se voit renvoyé par Jésus aux deux commandements de l'amour de Dieu et de l'amour du prochain (cf. Lc 10, 25-27) et il est invité à se souvenir que seule leur observance conduit à la vie éternelle : « Fais cela et tu vivras » (Lc 10, 28). Il est donc significatif que ce soit précisément le second de ces commandements qui suscite la curiosité et l'interrogation du docteur de la Loi : « Et qui est mon prochain ? » (Lc 10, 29). Le Maître répond par la parabole du bon Samaritain, parabole-clé pour la pleine compréhension du commandement de l'amour du prochain (cf. Lc 10, 30-37).
Les deux commandements, auxquels « se rattache toute la Loi, ainsi que les Prophètes » (Mt 22, 40), sont profondément unis entre eux et s'interpénètrent. Jésus rend témoignage de leur indivisible unité par ses paroles et par sa vie : sa mission culmine à la Croix rédemptrice (cf. Jn 3, 14-15), signe de son amour inséparable envers le Père et envers l'humanité (cf. Jn 13, 1).
L'Ancien et le Nouveau Testament affirment explicitement que, sans l'amour du prochain qui se concrétise dans l'observance des commandements, l'amour authentique pour Dieu n'est pas possible. Saint Jean l'écrit avec une force extraordinaire : « Si quelqu'un dit " J'aime Dieu " et qu'il déteste son frère, c'est un menteur : celui qui n'aime pas son frère qu'il voit ne saurait aimer le Dieu qu'il ne voit pas » (1 Jn 4, 20). L'évangéliste fait écho à la prédication morale du Christ, exprimée de manière admirable et sans équivoque dans la parabole du bon Samaritain (cf. Lc 10, 30-37) et dans le « discours » du jugement dernier (cf. Mt 25, 31-46).
15. Dans le « Discours sur la Montagne », qui constitue la magna carta de la morale évangélique 24, Jésus dit : « N'allez pas croire que je sois venu abolir la Loi et les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir » (Mt 5, 17). Le Christ est la clé des Écritures : « Vous scrutez les Écritures; ce sont elles qui me rendent témoignage » (Jn 5, 39) ; il est le centre de l'économie du salut, la récapitulation de l'Ancien et du Nouveau Testament, des promesses de la Loi et de leur accomplissement dans l’Évangile ; il est le lien vivant et éternel entre l'Ancienne et la Nouvelle Alliance. Commentant l'affirmation de Paul « la fin de la loi, c'est le Christ » (Rm 10, 4), saint Ambroise écrit : « Fin, non en tant qu'absence, mais en tant que plénitude de la Loi : elle s'accomplit dans le Christ (plenitudo legis in Christo est), du fait qu'il est venu non pour supprimer la Loi, mais pour la porter à son accomplissement. De la même manière qu'il y a un Ancien Testament, et que toute vérité cependant se trouve dans le Nouveau Testament, ainsi en est-il de la Loi : celle qui a été donnée par l'intermédiaire de Moïse est la figure de la vraie Loi. Donc, la Loi mosaïque est le prototype de la vérité » 25.
Jésus porte à leur accomplissement les commandements de Dieu, en particulier le commandement de l'amour du prochain, en intériorisant et en radicalisant leurs exigences ; l'amour du prochain jaillit d'un cœur qui aime, et qui, précisément parce qu'il aime, est disposé à en vivre les exigences les plus hautes. Jésus montre que les commandements ne doivent pas être entendus comme une limite minimale à ne pas dépasser, mais plutôt comme une route ouverte pour un cheminement moral et spirituel vers la perfection, dont le centre est l'amour (cf. Col 3, 14). Ainsi, le commandement « tu ne tueras pas » devient l'appel à un amour prompt à soutenir et à promouvoir la vie du prochain ; le précepte qui interdit l'adultère devient une invitation à un regard pur, capable de respecter le sens sponsal du corps : « Vous avez entendu qu'il a été dit aux ancêtres : " Tu ne tueras point " ; et si quelqu'un tue, il en répondra au tribunal. Eh bien ! moi je vous dis : Quiconque se fâche contre son frère en répondra au tribunal ; 2 Vous avez entendu qu'il a été dit : " Tu ne commettras pas l'adultère ". Eh bien ! moi je vous dis : Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son cœur, l'adultère avec elle » (Mt 5, 21-22. 27-28). Jésus est « l'accomplissement » vivant de la Loi en tant qu'il en réalise la signification authentique par le don total de lui-même : il devient lui-même la Loi vivante personnifiée, qui invite à sa suite, qui, par son Esprit, donne la grâce de partager sa vie et son amour même, et qui donne la force nécessaire pour en témoigner par les choix et par les actes (cf. Jn 13, 34-35).
(...)
Encyclique Veritatis Splendor sur quelques question fondamentales de l'enseignement moral de l’Église.
19 S. Tommaso D’Aquino In Duo Praecepta Caritatis et in Decem Legis Praecepta. Prologus: Opuscula Theologica, II, No. 1129, Ed. Taurinens. (1954), 245; cf Summa Theologiae, I-II, q. 91, a. 2; Catechismo della Chiesa Cattolica, n. 1955.
20 Cf S. Massimo il Confessore, Quaestiones ad Thalassium, q. 64: PG 90, 723-728.
21 CONC. ECUM. VAT. II, Cost. past. sulla Chiesa nel mondo contemporaneo Gaudium et spes 24.
22 Catechismo della Chiesa Cattolica, n. 2070.
23 In lohannis Evangelium Tractatus, 41, 10: CCL 36, 363.
24 Cf S. Agostino, De Sermone Domini in Monte, I, 1, 1: CCL 35, 1-2.
> Texte intégral de l'encyclique : site de la Congrégation pour le Clergé [> archive en ligne]
> Texte intégral de l'encyclique: bibliothèque catholique en ligne [> archive en ligne]
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Latina: Ex colloquii contextu et, praesertim, ex comparatione Matthaei textus cum Lucae et Marci locis parallelis, patet Iesum non recensere velle omnia et singula mandata ad “ingrediendum in vitam” necessaria, sed potius adulescentem commonefacere “naturae centralis” Decalogi prae quovis alio praecepto, utpote quae id interpretetur, quod homini significet “Ego sum Dominus, Deus tuus”.
Italiano: Dal contesto del colloquio e, specialmente, dal confronto del testo di Matteo con i passi paralleli di Marco e di Luca, risulta che Gesù non intende elencare tutti e singoli i comandamenti necessari per «entrare nella vita», ma, piuttosto, rimandare il giovane alla centralità del Decalogo rispetto ad ogni altro precetto, quale interpretazione di ciò che per l'uomo significa «Io sono il Signore, Dio tuo».
Español: Por el contexto del coloquio y, especialmente, al comparar el texto de Mateo con las perícopas paralelas de Marcos y de Lucas, aparece que Jesús no pretende detallar todos y cada uno de los mandamientos necesarios para «entrar en la vida» sino, más bien, indicar al joven la «centralidad» del Decálogo respecto a cualquier otro precepto, como interpretación de lo que para el hombre significa «Yo soy el Señor tu Dios».
Português: Pelo contexto do diálogo e especialmente pela comparação do texto de Mateus com as passagens paralelas de Marcos e de Lucas, vê-se que Jesus não pretende enumerar todos e cada um dos mandamentos necessários para «entrar na vida», mas sobretudo, remeter o jovem para a «centralidade» do Decálogo relativamente a qualquer outro preceito, como interpretação daquilo que significa para o homem «Eu sou o Senhor, teu Deus».
English: From the context of the conversation, and especially from a comparison of Matthew's text with the parallel passages in Mark and Luke, it is clear that Jesus does not intend to list each and every one of the commandments required in order to "enter into life", but rather wishes to draw the young man's attention to the "centrality" of the Decalogue with regard to every other precept, inasmuch as it is the interpretation of what the words "I am the Lord your God" mean for man.
Polski: Z kontekstu rozmowy, a zwłaszcza z porównania zapisu Mateuszowego z paralelnymi fragmentami Ewangelii Marka i Łukasza wynika, że Jezus nie zamierzał wymienić poszczególnych przykazań, które trzeba zachowywać, aby „osiągnąć życie”, ale raczej uświadomić młodzieńcowi centralne znaczenie Dekalogu w stosunku do wszystkich innych przykazań, jako wykładni tego, co dla człowieka oznaczają słowa: „Ja jestem Pan, twój Bóg”.
La traduction française, en revanche, s'éloigne du texte original de l'encyclique:
Du contexte de l'échange, et spécialement de la confrontation du texte de Matthieu avec les passages parallèles de Marc et de Luc, il ressort que Jésus n'entend pas dresser la liste de tous les commandements nécessaires pour « entrer dans la vie », mais plutôt qu'il entend renvoyer le jeune homme à ce qui est le « point central » du Décalogue par rapport à tout autre précepte, à savoir ce que signifie pour l'homme : « Je suis le Seigneur, ton Dieu ».
Espérance Nouvelle restitue donc une traduction fidèle au texte original latin et aux traductions officielles de l'encyclique dans les autres langues:
Du contexte de l'échange, et spécialement de la confrontation du texte de Matthieu avec les passages parallèles de Marc et de Luc, il ressort que Jésus n'entend pas dresser la liste de tous les commandements nécessaires pour « entrer dans la vie », mais plutôt qu'il entend attirer l'attention du jeune homme sur la « centralité » du Décalogue par rapport à tout autre précepte, en tant qu'interprétation de ce que signifie pour l'homme : « Je suis le Seigneur, ton Dieu ».
Veritatis Splendor : [Allemand, Anglais, Danois, Espagnol, Français, Italien, Latin, Néerlandais, Polonais, Portugais]
08:00 Publié dans Pape | Tags : encyclique, jean-paul ii, veritatis splendor, synode sur la famille, pape jean-paul ii, dix commandements, droits de l'homme, droits fondamentaux | Lien permanent | Commentaires (0)
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