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11/04/2015

Cardinal Müller : "l'évêque doit être un martyr de la parole"

Le cardinal Gerhard Ludwig Müller, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, répond aux questions soulevées dans l’Église à l’occasion du Synode sur la famille.

Dans un livre d’entretiens sur la famille, publié récemment en Italie et aux États-Unis, vous encouragez les chrétiens à « choisir l’audace prophétique du martyre ». Pourquoi ?

L’Église n’est pas une organisation philanthropique. Dire que nous respectons les opinions de tous, que nous voulons du bien à tous, ne suffit pas. Présenter l’Évangile comme un simple message thérapeutique n’est pas très difficile, mais ne répond pas à l’exigence de Jésus. « Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi », dit Jésus. Les premiers apôtres, les Pères de l’Église, les grands évêques de l’histoire de l’Église ont si souvent navigué face à des vents contraires. Comment pourrait-il en être autrement pour nous ?

Dans ce rôle prophétique, quel doit être pour vous le rôle des évêques ?

L’évêque doit être un martyr par la parole et, parfois, par la vie, comme nous le montre l’exemple de tant de chrétiens, de prêtres et d’évêques, dans différentes parties du monde. Nous devons être des confesseurs de la foi, et notamment ici en Europe. Confesseurs, parce que tous ne comprennent pas le sens de la croix du Christ.

Beaucoup ont une fausse idée de la religion catholique, y voyant un ensemble de rites, des croyances réconfortantes. Or elle est plus que cela. Elle implique que la personne se convertisse, qu’elle combatte le vieil Adam, qu’elle devienne une nouvelle créature.

Nous ne pouvons pas présenter l’Évangile comme un chemin de vie commode. Cela n’aide pas les personnes, parce que cela ne correspond pas à la réalité fondamentale de l’Évangile.

À travers les siècles, le courage des évêques est souvent lié à la défense de la doctrine de l’Église. Comment votre congrégation les y aide-t-elle aujourd’hui, dans le contexte du Synode sur la famille ?

La Congrégation pour la doctrine de la foi et le Synode des évêques sont des institutions distinctes, mais qui sont amenées à travailler sur des thèmes communs, comme la famille. La Congrégation que je préside est au service du Saint-Père pour le soutenir dans son magistère pétrinien, ainsi que des évêques dans le magistère qu’ils exercent en communion avec le pape.

Pour la famille, notre référence est la doctrine précisée au fil du temps par de nombreux papes, notamment Pie XI, spécialement dans son encyclique Casti Conubii, ainsi que par Jean-Paul II et Benoît XVI dans leurs nombreux enseignements sur ces sujets. Sans oublier le concile Vatican II.

Cette doctrine a été condensée dans le Catéchisme de l’Église catholique. L’analyse sociologique du mariage et de la famille montre que la réalité est souvent distante de cet enseignement. S’il nous faut ouvrir les yeux sur cette situation, il est clair que nous ne pouvons évidemment pas en faire une norme théologique ou dogmatique.

Quels sont les obstacles dans l’annonce du message évangélique sur la famille ?

La première question, pour la famille, est anthropologique. Les développements que nous constatons dans le champ du mariage et de la sexualité vont en effet souvent contre la dignité humaine et l’ordre créé par Dieu, comme l’illustrent les atteintes à la relation indissoluble entre un seul homme et une seule femme. Ces évolutions parviennent à faire vaciller les fondements anthropologiques issus de la création initiale de l’homme par Dieu, comme on le voit dans la prétention de créer un « mariage » homosexuel.

Nous vivons dans une culture sécularisée, sans Dieu, sans ce rapport fondamental avec le Créateur. La conséquence est que beaucoup d’hommes ont perdu le sens de leur vie et en viennent à adopter une vision purement pratique des choses, notamment sur l’amour, la fidélité. La valeur du don total d’un homme et d’une femme qui s’offrent l’un à l’autre pour toujours semble escamotée. Pourtant, l’amour et la fidélité sont les deux faces d’une même monnaie.

Des évolutions qui ont des conséquences sur le sacrement du mariage lui-même…

Le deuxième grand défi de l’Église concernant la famille, c’est la sacramentalité. À cet égard, on doit souligner qu’il n’est pas correct ou suffisant de présenter l’indissolubilité du mariage comme un idéal, une loi, une « valeur ». Le mariage est avant tout un sacrement, un signe efficace qui communique la grâce. Par lui, Dieu constitue une nouvelle réalité, le lien matrimonial. Dans l’Ancien Testament, il est dit que « l’homme quittera son père et sa mère, s’attachera à sa femme et ils ne seront plus qu’une seule chair ». Dans le Nouveau Testament, Jésus reprend ces paroles. C’est l’unité la plus dense qu’on puisse imaginer. Saint Jean Chrysostome a dit une fois que le divorce d’un mariage sacramentel était comme une amputation de la chair. Je crois que certains théologiens et certains évêques doivent se réapproprier ces paroles très claires.

L’enseignement de l’Église sur le sacrement du mariage est-il suffisamment affirmé, par exemple lors de la préparation au mariage ?

Parfois, certains peuvent être tentés, dans l’Église, de s’adapter à la superficialité du discours public, en fondant leur réflexion de manière purement pratique : si les choses « fonctionnent », les conjoints restent ensemble ; s’ils ne « s’entendent plus », il faut trouver une solution pratique de substitution. Cette vision des choses s’oppose absolument à la sacramentalité du mariage, qui donne aux époux un quasi-caractère (signe indélébile). Il y a une certaine analogie entre le caractère reçu par un prêtre à l’ordination et le lien matrimonial indissoluble jusqu’à la mort d’un des deux conjoints.

Nous devons dépasser le point de vue du sécularisme, qui consiste à ne penser le mariage que d’un point de vue pragmatique. Le mariage est bien plus que cela : c’est une expression, une participation à l’alliance définitive, eschatologique, indissoluble, du Christ et de l’Église, son épouse.

Certains distinguent la doctrine de l’indissolubilité, qu’ils ne remettent pas en question, et la pastorale, qui pourrait dans certains cas s’en éloigner. Qu’en pensez-vous ?

La doctrine chrétienne n’est pas une théorie sur la réalité, mais la vérité révélée. Elle est la vie du Christ et la vérité vécues. Il n’y a donc pas de différence fondamentale à établir entre doctrine et pastorale. Nous ne sommes pas sauvés en Jésus Christ par une théorie, mais nous participons à la grâce, à la vie de Dieu. Le péché, l’éloignement de Dieu, sont des réalités qui appartiennent au monde « ancien », celui de la domination du péché. Nous devons vivre de la nouvelle réalité, en acceptant la Croix et les difficultés concrètes qui s’y rattachent, tout au long de la vie. Un prêtre qui a reçu le sacrement de l’ordination ne peut pas dire : ceci est une belle idée, mais la réalité est différente. Il s’agit d’emprunter le chemin de la sequela (suite) de Jésus Christ, en acceptant les croix, parfois très lourdes, du quotidien, en suivant notre modèle.

À ce sujet, les paroles de Jésus peuvent-elles être interprétées de différentes manières ?

Nous devons être obéissants à la parole de Jésus Lui-même. Lorsqu’on Lui a demandé s’il était permis à l’homme de répudier son épouse, Jésus a répondu : Non ! « Si quelqu’un renvoie sa femme et qu’il en épouse une autre, il est adultère.  » Lorsque les personnes rencontrent des difficultés, elles doivent donc tout faire pour les surmonter, en cherchant à se faire semblables au Christ crucifié, qui ressuscite à Pâques. Et être aidées et soutenues dans leur effort. Mais nous ne pouvons pas dire que notre pastorale doit être plus prudente que Jésus Christ Lui-même !

Comment lier la doctrine et la vie concrète des personnes ?

En fait, on ne peut pas dire que Jésus Christ aurait apporté une doctrine hors de portée, un idéal qui serait sans lien avec la vie. Qu’il nous faudrait corriger, perfectionner Jésus Christ, parce qu’Il aurait vécu dans un monde idéaliste, qu’Il n’était pas un homme pratique. Jésus n’est pas un théologien académique qui n’aurait rien su de la vie réelle. Il a été, par toute sa personne et sa vie, le Docteur, l’Enseignant de la parole de Dieu. Il est le pasteur qui guide les hommes, qui nous apprend à marcher à sa suite par les « morts » quotidiennes.

Le christianisme n’est pas une philanthropie, une doctrine de sagesse pour la vie de tous les jours, qui justifierait cette séparation entre le Christ, la vérité et la vie réelle. Le voir ainsi serait Le réduire à une forme de gnosticisme, à un idéalisme, dont tous sauraient qu’il n’a pas de lien direct avec la pratique. Nietzsche voyait dans le christianisme un platonisme pour les gens simples. Il est étonnant de voir que certains dans l’Église, tels de nouveaux Nietzsche, voudraient réduire le christianisme à une forme d’idéalisme platonique.

Comme expliquez-vous ce phénomène ?

J’espère que ceux qui soutiennent ce genre de positions ne se rendent pas compte de ce qu’ils disent. Ils ne savent pas ce qu’ils font !

La discipline sacramentelle pourrait-elle être changée, sans pour autant toucher au dogme ?

La discipline des sacrements est l’expression de la doctrine de la foi. Ce ne sont pas deux domaines différents. On ne peut pas affirmer la doctrine et initier une pratique qui serait contraire à la doctrine. Car la doctrine chrétienne n’a pas une relation à la pratique comme l’auraient la théorie et la praxis dans la pensée marxiste. Nous avons le même Christ qui a enseigné le Royaume de Dieu et l’a réalisé en offrant sa propre vie. C’est cela, la réalité chrétienne. L’Église peut toujours changer ou adapter les rites ecclésiastiques. Mais uniquement ce qui est de droit humain. Ce qui est de droit divin, l’Église ne peut pas le changer. Ce serait une contradiction en soi.

Même le Magistère ?

Toute la parole de Dieu est confiée à l’Église, mais celle-ci n’est pas supérieure à cette Parole, comme le dit clairement la Constitution dogmatique Dei Verbum du concile Vatican II. Le Magistère n’est pas supérieur à la parole de Dieu. C’est l’inverse qui est vrai. C’est d’ailleurs un reproche récurrent des protestants à notre égard, accusant notre Magistère de se faire supérieur à la parole de Dieu. Mais ceci n’a jamais été la doctrine catholique. Le Magistère sert la parole de Dieu : l’interprétation n’est pas un changement, encore moins une création.

Certaines décisions doctrinales ou disciplinaires sur le mariage et la famille pourraient-elles être déléguées aux conférences épiscopales ?

C’est une idée absolument anticatholique, qui ne respecte pas la catholicité de l’Église. Les conférences épiscopales ont une autorité sur certains sujets, mais ne constituent pas un magistère à côté du Magistère, sans le pape et sans la communion avec tous les évêques.

Récemment, un évêque allemand a déclaré que la conférence épiscopale qu’il dirige n’était pas une « filiale de Rome ». Qu’en pensez-vous ?

Une conférence épiscopale n’est pas un concile particulier, encore moins un concile œcuménique. Le président d’une conférence épiscopale n’est rien de plus qu’un modérateur technique, et il n’a à ce titre aucune autorité magistérielle particulière. Entendre dire qu’une conférence épiscopale n’est pas une « filiale de Rome » me donne l’occasion de rappeler que les diocèses ne sont pas non plus les filiales du secrétariat d’une conférence épiscopale, ou d’un diocèse dont l’évêque préside la conférence épiscopale.

Ce genre d’attitude risque en fait de réveiller une certaine polarisation entre les Églises locales et l’Église universelle, dépassée lors des conciles Vatican I puis Vatican II. L’Église n’est pas un ensemble d’Églises nationales, dont les présidents voteraient pour élire leur chef au niveau universel.

Y a-t-il un danger que certaines conférences épiscopales se séparent de Rome ?

Je ne pense pas que cette volonté existe. Mais le risque est d’appliquer à l’Église des catégories politiques, au lieu d’utiliser l’ecclésiologie catholique véritable. La Curie romaine n’est pas l’administration de Bruxelles. Elle est le lieu où travaillent les cardinaux, piliers de l’Église de Rome, dont le pape est le chef. Ils sont là pour le soutenir dans son ministère pétrinien, dans son magistère, dans son gouvernement de l’Église romaine, au service de l’Église universelle.

Nous ne sommes pas une quasi-administration, ni une superorganisation au-dessus des Églises locales, dont les évêques seraient les délégués. En raison de leur ordination et de leur mission, ceux-ci exercent un vrai pouvoir spirituel sur l’Église particulière qui leur est confiée, en union avec l’Église universelle. Tout cela est clairement expliqué dans le concile Vatican II, et je ne vois pas la nécessité de réveiller un vieil antagonisme qui a donné lieu, dans l’histoire, à toutes sortes d’abus, que ce soit le centralisme curial comme au temps des papes d’Avignon ou, à l’inverse, le gallicanisme, le joséphisme [tentative de subordonner l’Église à l’État par l’empereur Habsbourg Joseph II au XVIIIe s.].

Vous travaillez aussi sur le lien entre la foi des conjoints et la validité de leur mariage.

C’est un grand défi, sur lequel nous travaillons beaucoup. Le problème est le suivant : dans nos sociétés sécularisées, il se peut qu’un nombre croissant de personnes demande le mariage catholique en ne voyant en lui qu’un beau rite religieux traditionnel, sans adhérer à sa signification profonde et ses implications. Les consentements peuvent être échangés sans que les personnes comprennent le sens du mariage chrétien, sans accepter dans leur cœur et leur esprit toutes les dimensions qui en sont constitutives. On peut par conséquent se demander de manière plus précise si toutes les conditions pour que le mariage soit valide ont bien été présentes.

Peut-on « mesurer » la foi de deux personnes qui demandent le mariage ?

Le niveau de foi personnelle, la fides qua creditur, ne peut pas être « contrôlé ». Seul Dieu peut le faire. Mais la foi confessée, si. Si quelqu’un demande le mariage à l’Église mais, en même temps – dans son cœur ou ouvertement – affirme qu’il n’accepte pas tout ce que dit l’Église, voire le nie directement, ou bien encore en ignore tout, alors on peut se poser la question de la validité de son mariage. C’est le cas d’un certain nombre de personnes qui ont seulement été formellement baptisées, mais n’ont reçu aucune éducation chrétienne.

C’est la raison pour laquelle on pourrait imaginer compléter la formule actuelle de la liturgie du mariage, basée essentiellement sur des éléments naturels, en demandant aux futurs conjoints d’exprimer de manière plus claire leur adhésion à l’enseignement de l’Église. Une adhésion à laquelle les candidats au mariage pourraient déjà être invités dès leur préparation à la réception de ce sacrement. 

Source : Famille Chrétienne

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