Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

15/09/2015

Dix-sept cardinaux rappellent la doctrine catholique sur le mariage et la famille

3795216640.jpgROME, le 31 août 2015 – Le cardinal guinéen Robert Sarah, préfet de la congrégation pour le culte divin, se trouve ces jours-ci à Ratisbonne, afin d’y présenter l'édition allemande de son livre "Dieu ou rien". Celui-ci a été publié en France au mois de février dernier et il est actuellement sur le point de paraître en neuf autres langues dans le monde entier, en raison de l'énorme intérêt qu’il a suscité, à cause de son contenu et de la personnalité de son auteur, comme www.chiesa l’a déjà montré :

> Un pape d’Afrique noire

À Ratisbonne, c’est le cardinal Gerhard Müller, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, qui présentera le livre. La préface de l’édition allemande a été rédigée par l’archevêque Georg Gänswein, préfet de la maison pontificale et secrétaire particulier de Benoît XVI.

Mais le pape émérite lui-même n’a pas manqué de dire au cardinal Sarah tout le bien qu’il pensait de son ouvrage. Il lui a notamment écrit ceci :

"C’est avec beaucoup de profit spirituel, de joie et de gratitude que j’ai lu 'Dieu ou rien'. La réponse courageuse que votre ouvrage donne aux problèmes suscités par la théorie du 'genre' pose avec netteté, dans un monde qui n’y voit plus clair, une question anthropologique fondamentale".

Sur près de quatre cents pages que compte l’ouvrage, il n’y en a que quelques-unes qui concernent le synode consacré à la famille. Mais ces pages-là ont produit une forte impression, en raison de la netteté et de la lucidité avec lesquelles elles s’opposent aux courants de pensée qui sont favorables à un changement dans la doctrine et dans la pastorale relatives au mariage, courants dont le représentant le plus en vue est le cardinal Walter Kasper.

Sarah ne fait pas partie du groupe de cinq cardinaux – le premier d’entre eux étant Müller – qui, à la veille de la session du synode qui s’est tenue au mois d’octobre dernier, ont fait bloc contre les novateurs en rédigeant un ouvrage collectif qui a provoqué des réactions vives et nombreuses.

Mais, alors que la seconde et dernière session du synode est proche, voici que de nouveaux combattants se lancent dans la bataille pour défendre la doctrine et la pastorale traditionnelles en matière de mariage : il s’agit non plus de cinq, mais de onze cardinaux, qui ont, cette fois encore, rédigé un ouvrage collectif. Et parmi eux figure Sarah.

Les dix autres sont, par ordre alphabétique :

- Carlo Caffarra, archevêque de Bologne, Italie ;
- Baselios Cleemis Thottunkal, archevêque majeur de Trivandrum de l’Église syro-malankare. Inde ;
- Josef Cordes, président émérite du conseil pontifical Cor Unum, Allemagne ;
- Dominik Duka, archevêque de Prague, République Tchèque ;
- Jacobus Eijk, archevêque d’Utrecht, Pays-Bas ;
- Joachim Meisner, archevêque émérite de Cologne, Allemagne ;
- John Onaiyekan, archevêque d’Abuja, Nigeria ;
- Antonio Maria Rouco Varela, archevêque émérite de Madrid, Epagne ;
- Camillo Ruini, vicaire émérite du pape pour le diocèse de Rome, Italie ;
- Jorge Urosa Savino, archevêque de Caracas, Vénézuela.

Le livre a pour titre :

"Le mariage et la famille dans l’Église catholique. Onze cardinaux apportent un éclairage pastoral".

Il sera publié à septembre en cinq langues : anglais (Ignatius Press), italien (Cantagalli), français (Artège), allemand (Herder), espagnol (Ediciones Cristiandad).

Et il ne s’agit pas d’un travail de compilation. Les textes qui y figurent seront publiés pour la première fois, à la seule exception de celui du cardinal Ruini, qui a déjà été mis en ligne, il y a un an, sur www.chiesa :

> Le vrai dilemme: indissolubilité ou divorce

Pour davantage de détails et d’informations en avant-première à propos du contenu de ce livre, voir :

> Marriage in Our Contemporary World: Pastoral Observations from an African Perspective

> Pre-Synod Book "Eleven Cardinals Speak on Marriage and the Family"

*

Mais ce n’est pas tout. En effet un autre livre collectif est sur le point d’être publié, également dans la perspective du synode. Ses  auteurs sont tous africains. Pour le moment il est édité uniquement en anglais, aux États-Unis par Ignatius Press et au Kenya par les éditions Paulines.

Son titre est :

"L’Afrique, nouvelle patrie du Christ. Contributions de pasteurs africains au synode consacré à la famille".

Ce livre aussi a onze auteurs, tous évêques ou archevêques, dont sept cardinaux. Et parmi eux on trouve de nouveau Sarah, qui signe le premier des textes, dont un extrait est reproduit ci-dessous sur cette page.

Le livre comporte une préface qu’a rédigée le cardinal nigérian Francis Arinze, qui a été le prédécesseur de Sarah à la tête de la congrégation pour le culte divin. Voici le sommaire de l’ouvrage :

PREMIÈRE PARTIE
LE SYNODE CONSACRÉ À LA FAMILLE. D’UNE SESSION À L'AUTRE

Cardinal Robert Sarah, préfet de la congrégation pour le culte divin :
"Quel type de miséricorde pastorale en réponse aux nouveaux défis concernant la famille ? Une analyse des Lineamenta"

Barthélemy Adoukonou, évêque secrétaire du conseil pontifical pour la culture :
"Partir d’une foi vivante. Une lecture africaine de l'Instrumentum laboris"

DEUXIÈME PARTIE
L’ÉVANGILE DE LA FAMILLE

Denis Amuzu-Dzakpah, archevêque de Lomé, Togo :
"L'importance de l’enseignement récent du magistère en ce qui concerne le mariage et la famille"

Cardinal Philippe Ouedraogo, archevêque de Ouagadougou, Burkina Faso :
"L'indissolubilité du mariage et la fondation de la famille humaine"

Cardinal Berhaneyesus D. Souraphiel, archevêque d’Addis-Abeba, Éthiopie :
"Comment promouvoir une véritable compréhension du mariage et accompagner les couples mariés"

TROISIÈME PARTIE
SOIN PASTORAL DES FAMILLES EN DIFFICULTÉ

Cardinal Christian Tumi, archevêque émérite de Douala, Cameroun :
"Le mariage en situations de difficulté ou de faiblesse. Séparations, divorces, remariages"

Antoine Ganye, archevêque de Cotonou, Bénin :
"Monogamie et polygamie. Défis et préoccupations pour la vérité de l'amour dans les cultures africaines"

Cardinale Théodore Adrien Sarr, archevêque émérite de Dakar, Sénégal :
"Les défis des mariages mixtes et interreligieux"

Samuel Kleda, archevêque de Douala, Cameroun :
"Le soin pastoral des familles blessées"

ÉPILOGUE
UN APPEL DE L’ÉGLISE AFRICAINE AUX ÉTATS

Cardinale Jean-Pierre Kutwa, archevêque d’Abidjan, Côte d'Ivoire :
"Pourquoi l’État doit-il soutenir la famille ?"

*

Ce livre fait donc comprendre clairement que, au cours du synode à venir, le bloc des évêques d’Afrique va certainement jouer un rôle de premier plan et qu’il va constituer un rempart compact face aux propositions de changement en matière de divorce et d’unions homosexuelles. C’est ce qui était déjà apparu de manière évidente au symposium d’Accra qui a réuni, au mois de juin dernier, les présidents des conférences des évêques de ce continent :

> Synode. L'heure de l'Afrique

Dans l’extrait du texte du cardinal Sarah qui est publié ci-dessous en avant-première, on trouve des références brèves mais très critiques au langage et au contenu des "Lineamenta", c’est-à-dire du document officiel qui est le résultat de la première session du synode et qui sera utilisé comme base pour une discussion ultérieure.

Toutefois les personnes qui liront, dans le livre, ce texte dans son intégralité constateront qu’il ne s’agit pas de références uniquement allusives. En effet, juste avant l’extrait qui est reproduit ici, le cardinal Sarah consacre plusieurs pages précisément à une critique point par point des "Lineamenta", avec des sous-titres et des introductions tels que ceux qui suivent ici :

- "UN POINT QUI LAISSE PERPLEXE"

"Au paragraphe 14, le document semble insinuer qu’insister sur l’indissolubilité du mariage, c’est la même chose qu’imposer un joug aux gens et il donne l'impression de considérer le modèle mosaïque comme valide, étant donné, dit-il, que Jésus lui-même fait référence à celui-ci. Devrions-nous alors supposer que l’on peut revenir à l'époque de la 'dureté de cœur' des temps d’avant l’Évangile ?…".

- "POINTS INACCEPTABLES, SCANDALEUX"

"On passe ensuite de ce qui laisse perplexe à ce qui est inacceptable. C’est le cas lorsque, au paragraphe 27, le document défend le concubinage comme une voie à suivre. […] Dans beaucoup de régions d'Afrique où les usages prescrivent un 'mariage traditionnel indissoluble' – qui est plus stable, par conséquent, qu’un mariage civil – l’Église locale n’a en aucun cas l’autorisation d’utiliser un pareil langage. Et si elle le faisait, non seulement elle détruirait son ministère pastoral envers les familles, mais elle serait également en contradiction avec l’Évangile et elle scandaliserait les païens…".

- "LES RÉSULTATS DE LA CONFUSION : EN METTANT DE CÔTÉ DIEU ET LA DOCTRINE ON CRÉE UNE GRANDE CONFUSION PASTORALE"

"Il est stupéfiant que le même document qui affirme clairement, au paragraphe 5, qu’il y a une 'crise de la foi qui a atteint un très grand nombre de catholiques et qui est fréquemment à l’origine des crises du mariage et de la famille' ne tire par la suite aucune conclusion de ce fait. Pourquoi ne dit-il pas que le premier défi à relever est la crise de la foi ? Pourquoi propose-t-il, au paragraphe 33, dans une perspective particulièrement déconcertante, de procéder à une rénovation de la manière de s’exprimer de l’Église en ce qui concerne des situations qui sont objectivement contraires à l’Évangile, comme s’il s’agissait simplement d’une question de 'paroles' ou de 'langage' ?…".

*

Voici donc ci-dessous l’extrait du texte du cardinal Sarah.

En celui-ci, la "parrhésie", la franchise que le pape François a tellement appelée de ses vœux pour les discussions synodales, a certainement un représentant de premier ordre.

__________



QUEL GENRE DE MISÉRICORDE PASTORALE?

par Robert Sarah


Les "Lineamenta" indiquent que, dans le contexte ecclésial beaucoup plus vaste qui est défini par "Evangelii gaudium”, le nouveau chemin tracé par le synode extraordinaire a comme point de départ les ”périphéries de l’existence", qui nécessitent une approche pastorale caractérisée par une "culture de la rencontre, capable de reconnaître l’œuvre librement réalisée par le Seigneur, y compris en dehors de nos schémas habituels, et d’assumer sans restrictions cet état d’'hôpital de campagne' qui est tellement utile à l’annonce de la miséricorde de Dieu" (introduction aux questions après la “Relatio synodi", première partie).

Dès lors la question qu’il convient de se poser est la suivante : quelles sont ces périphéries de la vie dans le nouveau contexte socio-culturel auquel nous sommes actuellement confrontés ?

L'impact de la mondialisation sur les cultures humaines a été tellement destructeur que non seulement les institutions sociales traditionnelles, mais également les valeurs qui soutiennent celles-ci, ont été ébranlées jusque dans leurs fondements. Une idéologie relativiste est en train de se répandre dans toutes nos sociétés contemporaines par l’intermédiaire du pouvoir politique et législatif (par exemple du fait de nouvelles lois qui déconstruisent la famille et le mariage et qui spéculent sur la vie humaine), du pouvoir financier (dans le cas des fonds destinés au développement et dont l’attribution est conditionnée par l'adoption de documents "anti-famille" et "anti-vie"), et tout particulièrement du pouvoir des médias.

Si nous en croyons le président du conseil des conférences des évêques d’Europe, “la vie commune de facto est désormais devenue la norme" dans les pays de l’hémisphère Nord, une donnée qui est confirmée par des études sociologiques. Vivre dans une famille chrétienne, selon les valeurs de l’Évangile, est devenu une situation marginale par rapport à ce que fait la majorité des gens. Les familles chrétiennes, dans ce contexte, sont maintenant en minorité non seulement au point de vue numérique, mais également au point de vue sociologique. Elles sont victimes de discriminations silencieuses mais oppressantes et implacables. Tout est contre elles : les valeurs dominantes, la pression médiatique et culturelle, les liens financiers, la législation en vigueur, et ainsi de suite. Et l’Église elle-même, à travers des documents tels que les "Lineamenta", semble les pousser, elle aussi, vers une telle situation.

Si les "Lineamenta" sont formulés dans le langage dont nous avons pu prendre connaissance, quel type d’Église s’occupera alors de ce "petit reste" ? Qui fera entendre la voix miséricordieuse du Bon Pasteur, qui ne cesse de nous répéter : "Sois sans crainte, petit troupeau" (Lc 12, 32) ?

Est-ce que nous n’avons pas rencontré ici la véritable "périphérie" de notre village planétaire postmoderne ? Espérons que le synode qui va avoir lieu ne chasse pas de la "grotte de Bethléem" (l’Église) la petite famille chrétienne qui a trouvé de la place dans les auberges de la "Cité du roi David" (notre monde globalisé). Les belles familles chrétiennes qui, à l’heure actuelle, vivent héroïquement les valeurs exigeantes de l’Évangile sont aujourd’hui les véritables périphéries de notre monde et de nos sociétés, qui parcourent la vie comme si Dieu n’existait pas.

En plus de ce "petit reste", il existe une seconde catégorie qui demande, à haute voix, qu’on lui accorde davantage d’attention pastorale. Il s’agit des victimes du système postmoderne, qui ne s’avouent pas vaincues. Elles ne se sentent pas chez elles dans ce monde sans Dieu. Elles portent en elles la nostalgie de la chaleur de la "famille chrétienne", mais elles ne sentent pas en elles la force qui leur permettrait de revenir à ce mode de vie radicalement évangélique.

On a l’impression que nous présentons aujourd’hui à ces personnes une Église rigide, une mère qui ne les comprend plus et qui leur ferme la porte au nez. Et il y a des gens qui s’efforcent de les convaincre qu’elles sont jugées et condamnées précisément par ceux-là mêmes qui devraient les accueillir et prendre soin d’elles. Personne n’a le droit, au lieu de les aider à découvrir l’horreur du péché et à demander à en être libérées, de leur offrir un genre de “miséricorde” qui n’a pas d’autre effet que de les laisser s’enfoncer encore plus profondément dans le mal.

Toutefois ces frères et ces sœurs qui ont été vraiment blessés par la vie ne se laissent pas tromper par ce comportement. Ils ont soif de vérité en ce qui concerne leur vie, pas de commisération ou de propos douceâtres. Ils savent très bien qu’ils sont victimes du système mondial qui a pour objectif d’affaiblir et de détruire l’Église. Ils ne sont pas de ceux qui répandent des idéologies relativistes qui sapent les fondements de la doctrine chrétienne et annulent la Croix du Christ.

Ils se perçoivent comme semblables au pécheur dont parle saint Augustin, qui, bien que ne ressemblant pas à Dieu par l’irréprochabilité qu’il a perdue, désire néanmoins lui ressembler par l’horreur que lui inspire le péché. C’est pour cette raison, en effet, qu’ils ne veulent pas qu’on les empêche de crier au ciel : "Qui nous donnera le salut ?”, "Jésus, fils de David, aie pitié de moi !" et qu’on leur promette au contraire quelque chose que le Christ n’a jamais promis de donner.

Dieu n’a jamais fermé son cœur à ces frères et à ces sœurs et l’Église, qui est sa servante, ne peut pas non plus le faire. Mais comment l’Église peut-elle adopter une approche pastorale de miséricorde à leur égard ? En évitant de mettre, par la communion sacramentelle, un pansement sur une blessure qui n’a pas été soignée par le sacrement de la réconciliation reçu comme il se doit.

Si son approche pastorale doit être non pas la condamnation, qui maltraite la personne blessée alors que celle-ci est déjà porteuse d’une plaie qui saigne, mais plutôt la présence pleine de compassion, alors l’Église ne peut pas faire semblant d’ignorer l'existence réelle des dommages provoqués par la blessure ; elle doit au contraire appliquer le baume qui provient de son cœur, de telle sorte que cette blessure puisse être soignée et pansée en vue de la véritable guérison.

Cette sorte de présence respectueuse, avec une manière renouvelée de voir les faits qui vient de Dieu, ne qualifiera donc jamais de "bon" quelque chose qui est mauvais ou de "mauvais" quelque chose qui est bon, comme le rituel d’ordination des évêques le leur rappelle. Il s’agit d’une pastorale d’espérance et d’attente, de même que le père miséricordieux attend son fils prodigue. Comme le Bon Pasteur, l’Église devra aller chercher ses enfants qui se sont éloignés, les prendre sur ses épaules, les tenir serrés, et ne pas les renvoyer de nouveau dans les ronces qui ont lacéré leur vie. Voilà la signification de la miséricorde pastorale.

__________


Le document qui a été élaboré lors de la première session du synode consacré à la famille :

> Lineamenta

Et le document de travail pour la seconde session :

> Instrumentum laboris


__________


Par Sandro Magister. Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.

 

11/04/2015

Cardinal Müller : "l'évêque doit être un martyr de la parole"

Le cardinal Gerhard Ludwig Müller, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, répond aux questions soulevées dans l’Église à l’occasion du Synode sur la famille.

Dans un livre d’entretiens sur la famille, publié récemment en Italie et aux États-Unis, vous encouragez les chrétiens à « choisir l’audace prophétique du martyre ». Pourquoi ?

L’Église n’est pas une organisation philanthropique. Dire que nous respectons les opinions de tous, que nous voulons du bien à tous, ne suffit pas. Présenter l’Évangile comme un simple message thérapeutique n’est pas très difficile, mais ne répond pas à l’exigence de Jésus. « Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi », dit Jésus. Les premiers apôtres, les Pères de l’Église, les grands évêques de l’histoire de l’Église ont si souvent navigué face à des vents contraires. Comment pourrait-il en être autrement pour nous ?

Dans ce rôle prophétique, quel doit être pour vous le rôle des évêques ?

L’évêque doit être un martyr par la parole et, parfois, par la vie, comme nous le montre l’exemple de tant de chrétiens, de prêtres et d’évêques, dans différentes parties du monde. Nous devons être des confesseurs de la foi, et notamment ici en Europe. Confesseurs, parce que tous ne comprennent pas le sens de la croix du Christ.

Beaucoup ont une fausse idée de la religion catholique, y voyant un ensemble de rites, des croyances réconfortantes. Or elle est plus que cela. Elle implique que la personne se convertisse, qu’elle combatte le vieil Adam, qu’elle devienne une nouvelle créature.

Nous ne pouvons pas présenter l’Évangile comme un chemin de vie commode. Cela n’aide pas les personnes, parce que cela ne correspond pas à la réalité fondamentale de l’Évangile.

À travers les siècles, le courage des évêques est souvent lié à la défense de la doctrine de l’Église. Comment votre congrégation les y aide-t-elle aujourd’hui, dans le contexte du Synode sur la famille ?

La Congrégation pour la doctrine de la foi et le Synode des évêques sont des institutions distinctes, mais qui sont amenées à travailler sur des thèmes communs, comme la famille. La Congrégation que je préside est au service du Saint-Père pour le soutenir dans son magistère pétrinien, ainsi que des évêques dans le magistère qu’ils exercent en communion avec le pape.

Pour la famille, notre référence est la doctrine précisée au fil du temps par de nombreux papes, notamment Pie XI, spécialement dans son encyclique Casti Conubii, ainsi que par Jean-Paul II et Benoît XVI dans leurs nombreux enseignements sur ces sujets. Sans oublier le concile Vatican II.

Cette doctrine a été condensée dans le Catéchisme de l’Église catholique. L’analyse sociologique du mariage et de la famille montre que la réalité est souvent distante de cet enseignement. S’il nous faut ouvrir les yeux sur cette situation, il est clair que nous ne pouvons évidemment pas en faire une norme théologique ou dogmatique.

Quels sont les obstacles dans l’annonce du message évangélique sur la famille ?

La première question, pour la famille, est anthropologique. Les développements que nous constatons dans le champ du mariage et de la sexualité vont en effet souvent contre la dignité humaine et l’ordre créé par Dieu, comme l’illustrent les atteintes à la relation indissoluble entre un seul homme et une seule femme. Ces évolutions parviennent à faire vaciller les fondements anthropologiques issus de la création initiale de l’homme par Dieu, comme on le voit dans la prétention de créer un « mariage » homosexuel.

Nous vivons dans une culture sécularisée, sans Dieu, sans ce rapport fondamental avec le Créateur. La conséquence est que beaucoup d’hommes ont perdu le sens de leur vie et en viennent à adopter une vision purement pratique des choses, notamment sur l’amour, la fidélité. La valeur du don total d’un homme et d’une femme qui s’offrent l’un à l’autre pour toujours semble escamotée. Pourtant, l’amour et la fidélité sont les deux faces d’une même monnaie.

Des évolutions qui ont des conséquences sur le sacrement du mariage lui-même…

Le deuxième grand défi de l’Église concernant la famille, c’est la sacramentalité. À cet égard, on doit souligner qu’il n’est pas correct ou suffisant de présenter l’indissolubilité du mariage comme un idéal, une loi, une « valeur ». Le mariage est avant tout un sacrement, un signe efficace qui communique la grâce. Par lui, Dieu constitue une nouvelle réalité, le lien matrimonial. Dans l’Ancien Testament, il est dit que « l’homme quittera son père et sa mère, s’attachera à sa femme et ils ne seront plus qu’une seule chair ». Dans le Nouveau Testament, Jésus reprend ces paroles. C’est l’unité la plus dense qu’on puisse imaginer. Saint Jean Chrysostome a dit une fois que le divorce d’un mariage sacramentel était comme une amputation de la chair. Je crois que certains théologiens et certains évêques doivent se réapproprier ces paroles très claires.

L’enseignement de l’Église sur le sacrement du mariage est-il suffisamment affirmé, par exemple lors de la préparation au mariage ?

Parfois, certains peuvent être tentés, dans l’Église, de s’adapter à la superficialité du discours public, en fondant leur réflexion de manière purement pratique : si les choses « fonctionnent », les conjoints restent ensemble ; s’ils ne « s’entendent plus », il faut trouver une solution pratique de substitution. Cette vision des choses s’oppose absolument à la sacramentalité du mariage, qui donne aux époux un quasi-caractère (signe indélébile). Il y a une certaine analogie entre le caractère reçu par un prêtre à l’ordination et le lien matrimonial indissoluble jusqu’à la mort d’un des deux conjoints.

Nous devons dépasser le point de vue du sécularisme, qui consiste à ne penser le mariage que d’un point de vue pragmatique. Le mariage est bien plus que cela : c’est une expression, une participation à l’alliance définitive, eschatologique, indissoluble, du Christ et de l’Église, son épouse.

Certains distinguent la doctrine de l’indissolubilité, qu’ils ne remettent pas en question, et la pastorale, qui pourrait dans certains cas s’en éloigner. Qu’en pensez-vous ?

La doctrine chrétienne n’est pas une théorie sur la réalité, mais la vérité révélée. Elle est la vie du Christ et la vérité vécues. Il n’y a donc pas de différence fondamentale à établir entre doctrine et pastorale. Nous ne sommes pas sauvés en Jésus Christ par une théorie, mais nous participons à la grâce, à la vie de Dieu. Le péché, l’éloignement de Dieu, sont des réalités qui appartiennent au monde « ancien », celui de la domination du péché. Nous devons vivre de la nouvelle réalité, en acceptant la Croix et les difficultés concrètes qui s’y rattachent, tout au long de la vie. Un prêtre qui a reçu le sacrement de l’ordination ne peut pas dire : ceci est une belle idée, mais la réalité est différente. Il s’agit d’emprunter le chemin de la sequela (suite) de Jésus Christ, en acceptant les croix, parfois très lourdes, du quotidien, en suivant notre modèle.

À ce sujet, les paroles de Jésus peuvent-elles être interprétées de différentes manières ?

Nous devons être obéissants à la parole de Jésus Lui-même. Lorsqu’on Lui a demandé s’il était permis à l’homme de répudier son épouse, Jésus a répondu : Non ! « Si quelqu’un renvoie sa femme et qu’il en épouse une autre, il est adultère.  » Lorsque les personnes rencontrent des difficultés, elles doivent donc tout faire pour les surmonter, en cherchant à se faire semblables au Christ crucifié, qui ressuscite à Pâques. Et être aidées et soutenues dans leur effort. Mais nous ne pouvons pas dire que notre pastorale doit être plus prudente que Jésus Christ Lui-même !

Comment lier la doctrine et la vie concrète des personnes ?

En fait, on ne peut pas dire que Jésus Christ aurait apporté une doctrine hors de portée, un idéal qui serait sans lien avec la vie. Qu’il nous faudrait corriger, perfectionner Jésus Christ, parce qu’Il aurait vécu dans un monde idéaliste, qu’Il n’était pas un homme pratique. Jésus n’est pas un théologien académique qui n’aurait rien su de la vie réelle. Il a été, par toute sa personne et sa vie, le Docteur, l’Enseignant de la parole de Dieu. Il est le pasteur qui guide les hommes, qui nous apprend à marcher à sa suite par les « morts » quotidiennes.

Le christianisme n’est pas une philanthropie, une doctrine de sagesse pour la vie de tous les jours, qui justifierait cette séparation entre le Christ, la vérité et la vie réelle. Le voir ainsi serait Le réduire à une forme de gnosticisme, à un idéalisme, dont tous sauraient qu’il n’a pas de lien direct avec la pratique. Nietzsche voyait dans le christianisme un platonisme pour les gens simples. Il est étonnant de voir que certains dans l’Église, tels de nouveaux Nietzsche, voudraient réduire le christianisme à une forme d’idéalisme platonique.

Comme expliquez-vous ce phénomène ?

J’espère que ceux qui soutiennent ce genre de positions ne se rendent pas compte de ce qu’ils disent. Ils ne savent pas ce qu’ils font !

La discipline sacramentelle pourrait-elle être changée, sans pour autant toucher au dogme ?

La discipline des sacrements est l’expression de la doctrine de la foi. Ce ne sont pas deux domaines différents. On ne peut pas affirmer la doctrine et initier une pratique qui serait contraire à la doctrine. Car la doctrine chrétienne n’a pas une relation à la pratique comme l’auraient la théorie et la praxis dans la pensée marxiste. Nous avons le même Christ qui a enseigné le Royaume de Dieu et l’a réalisé en offrant sa propre vie. C’est cela, la réalité chrétienne. L’Église peut toujours changer ou adapter les rites ecclésiastiques. Mais uniquement ce qui est de droit humain. Ce qui est de droit divin, l’Église ne peut pas le changer. Ce serait une contradiction en soi.

Même le Magistère ?

Toute la parole de Dieu est confiée à l’Église, mais celle-ci n’est pas supérieure à cette Parole, comme le dit clairement la Constitution dogmatique Dei Verbum du concile Vatican II. Le Magistère n’est pas supérieur à la parole de Dieu. C’est l’inverse qui est vrai. C’est d’ailleurs un reproche récurrent des protestants à notre égard, accusant notre Magistère de se faire supérieur à la parole de Dieu. Mais ceci n’a jamais été la doctrine catholique. Le Magistère sert la parole de Dieu : l’interprétation n’est pas un changement, encore moins une création.

Certaines décisions doctrinales ou disciplinaires sur le mariage et la famille pourraient-elles être déléguées aux conférences épiscopales ?

C’est une idée absolument anticatholique, qui ne respecte pas la catholicité de l’Église. Les conférences épiscopales ont une autorité sur certains sujets, mais ne constituent pas un magistère à côté du Magistère, sans le pape et sans la communion avec tous les évêques.

Récemment, un évêque allemand a déclaré que la conférence épiscopale qu’il dirige n’était pas une « filiale de Rome ». Qu’en pensez-vous ?

Une conférence épiscopale n’est pas un concile particulier, encore moins un concile œcuménique. Le président d’une conférence épiscopale n’est rien de plus qu’un modérateur technique, et il n’a à ce titre aucune autorité magistérielle particulière. Entendre dire qu’une conférence épiscopale n’est pas une « filiale de Rome » me donne l’occasion de rappeler que les diocèses ne sont pas non plus les filiales du secrétariat d’une conférence épiscopale, ou d’un diocèse dont l’évêque préside la conférence épiscopale.

Ce genre d’attitude risque en fait de réveiller une certaine polarisation entre les Églises locales et l’Église universelle, dépassée lors des conciles Vatican I puis Vatican II. L’Église n’est pas un ensemble d’Églises nationales, dont les présidents voteraient pour élire leur chef au niveau universel.

Y a-t-il un danger que certaines conférences épiscopales se séparent de Rome ?

Je ne pense pas que cette volonté existe. Mais le risque est d’appliquer à l’Église des catégories politiques, au lieu d’utiliser l’ecclésiologie catholique véritable. La Curie romaine n’est pas l’administration de Bruxelles. Elle est le lieu où travaillent les cardinaux, piliers de l’Église de Rome, dont le pape est le chef. Ils sont là pour le soutenir dans son ministère pétrinien, dans son magistère, dans son gouvernement de l’Église romaine, au service de l’Église universelle.

Nous ne sommes pas une quasi-administration, ni une superorganisation au-dessus des Églises locales, dont les évêques seraient les délégués. En raison de leur ordination et de leur mission, ceux-ci exercent un vrai pouvoir spirituel sur l’Église particulière qui leur est confiée, en union avec l’Église universelle. Tout cela est clairement expliqué dans le concile Vatican II, et je ne vois pas la nécessité de réveiller un vieil antagonisme qui a donné lieu, dans l’histoire, à toutes sortes d’abus, que ce soit le centralisme curial comme au temps des papes d’Avignon ou, à l’inverse, le gallicanisme, le joséphisme [tentative de subordonner l’Église à l’État par l’empereur Habsbourg Joseph II au XVIIIe s.].

Vous travaillez aussi sur le lien entre la foi des conjoints et la validité de leur mariage.

C’est un grand défi, sur lequel nous travaillons beaucoup. Le problème est le suivant : dans nos sociétés sécularisées, il se peut qu’un nombre croissant de personnes demande le mariage catholique en ne voyant en lui qu’un beau rite religieux traditionnel, sans adhérer à sa signification profonde et ses implications. Les consentements peuvent être échangés sans que les personnes comprennent le sens du mariage chrétien, sans accepter dans leur cœur et leur esprit toutes les dimensions qui en sont constitutives. On peut par conséquent se demander de manière plus précise si toutes les conditions pour que le mariage soit valide ont bien été présentes.

Peut-on « mesurer » la foi de deux personnes qui demandent le mariage ?

Le niveau de foi personnelle, la fides qua creditur, ne peut pas être « contrôlé ». Seul Dieu peut le faire. Mais la foi confessée, si. Si quelqu’un demande le mariage à l’Église mais, en même temps – dans son cœur ou ouvertement – affirme qu’il n’accepte pas tout ce que dit l’Église, voire le nie directement, ou bien encore en ignore tout, alors on peut se poser la question de la validité de son mariage. C’est le cas d’un certain nombre de personnes qui ont seulement été formellement baptisées, mais n’ont reçu aucune éducation chrétienne.

C’est la raison pour laquelle on pourrait imaginer compléter la formule actuelle de la liturgie du mariage, basée essentiellement sur des éléments naturels, en demandant aux futurs conjoints d’exprimer de manière plus claire leur adhésion à l’enseignement de l’Église. Une adhésion à laquelle les candidats au mariage pourraient déjà être invités dès leur préparation à la réception de ce sacrement. 

Source : Famille Chrétienne

11/12/2014

Cardinal Müller: séparer la doctrine et la pastorale est "une subtile hérésie christologique"

DSC_0194_810_500_55_s_c1.JPG

C'est ce qu'a déclaré le cardinal Gerhard Ludwig Müller, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le 1er décembre 2014, a rapporté le lendemain  Radio Vatican . 

Le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi a ouvert ainsi l’assemblée plénière de la Commission théologique internationale au Vatican.

Pour le cardinal allemand, “la théologie n’est jamais une pure spéculation ou une théorie détachée de la vie des croyants“ car “il n’y a pas de vérité sans la vie, il n’y a pas de vie sans vérité“. (Archidiocèse de Dakar)

«Toute division entre théorie et pratique de la foi serait le reflet d’une subtile hérésie christologique», a déclaré le 1er décembre le cardinal Gerhard Ludwig Müller. Le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi ouvrait l’assemblée plénière de la Commission théologique internationale au Vatican. (Apic)

 

Article complet:

> Attempt to divide doctrine and pastoral practice is a ‘subtle heresy’: Vatican’s doctrine chief