21/06/2015
Saint Bonaventure - Itinéraire de l'âme à Dieu - Chapitre IV
Saint Bonaventure
Itinéraire de l’Âme à Dieu
CHAPITRE IV. De la contemplation de Dieu en son image reformée par la grâce divine.
CHAPITRE V. De la contemplation de l'unité divine par son nom principal, qui est l’ETRE.
CHAPITRE VI. De la contemplation de la Trinité bienheureuse en son nom, qui est SOUVERAINEMENT BON.
CHAPITRE VII. Du ravissement spirituel et mystique, dans lequel le repos est donné à notre intelligence et notre affection passe tout entière en Dieu.
CHAPITRE IV. De la contemplation de Dieu en son image reformée par la grâce divine.
Ce n'est pas seulement en passant à travers notre âme, mais en elle-même, qu'il nous faut contempler notre premier principe; et comme ce degré est plus élevé que le précédent , nous lui donnerons la quatrième place dans l'échelle de nos méditations.
Il semble étonnant que, Dieu étant si proche de nos âmes , si peu d'hommes s'appliquent à le contempler en eux-mêmes. La raison en est que notre âme distraite par les sollicitudes de la vie, obscurcie par les vains fantômes de ce monde, entraînée par les concupiscences , demeure étrangère aux enseignements de sa mémoire et aux lumières de son intelligence, et qu'elle est sans désir pour les joies spirituelles et la suavité intérieure qu'elle pourrait goûter au-dedans d'elle-même. Plongée tout entière dans les choses sensibles , elle devient impuissante à trouver en elle l'image de Dieu.
Et comme il est nécessaire que l'homme demeure où il est tombé si personne ne lui vient en aide et ne le relève, ainsi notre âme tombée au milieu des choses sensibles n'a pu se relever parfaitement, pour se contempler et admirer en elle-même la vérité éternelle, qu'au jour où cette vérité, revêtant en Jésus-Christ la forme de notre humanité, est devenue une échelle nouvelle réparant les ruines de cette échelle ancienne qui avait été formée en Adam. Ainsi nul , quelque éclairé qu'il soit des lumières de la nature et de la science, ne peut rentrer en soi-même pour s'y réjouir dans le Seigneur, s'il n'est conduit par Jésus-Christ , qui a dit (1) : Je suis la porte. Si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé; il entrera, il sortira et il trouvera des pâturages. Or, pour approcher de cette porte du salut, il faut croire et espérer en Jésus, il faut l'aimer. Il est donc nécessaire, si nous voulons entrer dans les délices de la vérité, comme dans un lieu de félicité , d'y arriver par la foi, l'espérance et la charité de Jésus-Christ, le médiateur entre Dieu et les hommes, l'arbre de vie planté au milieu du Paradis.
Notre âme, l'image de Dieu, doit donc être revêtue des trois vertus théologiques qui la purifient , l'illuminent et la perfectionnent; elle doit donc être reformée, restaurée, rendue semblable à la céleste Jérusalem et devenir un membre de l’Église militante, qui est la fille de cette cité divine dont l'Apôtre a dit : Cette Jérusalem d'en haut est Sion. C'est elle qui est notre mère (2).
1 Joan., 10. — 2 Gal., 4.
Que l'âme croie donc et espère eu Jésus-Christ; qu'elle s'attache à lui par l'amour. Il est le Verbe incréé du Père, le Verbe incarné et inspiré; ou autrement : il est la voie, la vérité et la vie. En croyant en lui , comme au Verbe incréé et à la splendeur du Père, elle recouvre l'ouïe et la vue : l'ouïe pour entendre les enseignements du Sauveur, la vue pour contempler ses merveilles. En soupirant par l'espérance après le Verbe inspiré, le désir et l'amour font revivre en elle l'odorat spirituel. Enfin , en embrassant par la charité le Verbe incarné comme la source de toutes délices , et en passant en lui par les ravissements de l'amour, elle rentre en possession du goût et du toucher. Lors donc qu'après avoir ainsi recouvré ses sens , elle voit , elle entend , elle aspire , elle goûte et embrasse son Epoux , elle peut , comme l'épouse , prendre pour sujet de ses chants le Cantique des cantiques , qui est fait pour ce quatrième degré de contemplation, que personne ne comprend si le ciel ne l'en favorise, car l'expérience de l'amour le fait plus connaître que les considérations naturelles.
Une fois que dans ce degré l'âme a recouvré ses sens intérieurs pour contempler la beauté suprême, pour entendre ses harmonies inénarrables, pour aspirer ses parfums enivrants, goûter sa suavité infinie et embrasser le bien délicieux par excellence , elle se trouve disposée à passer aux ravissements par la dévotion , l'admiration et la joie qui répondent aux trois exclamations du Cantique des cantiques (1). D'abord par la surabondance de sa dévotion, l'âme devient comme la colonne de fumée qui s'élève formée d'aromates, de myrrhe et d'encens. Ensuite, la grandeur de son admiration la rend semblable à l'aurore , à la lune et au soleil, selon que les lumières dont elle est éclairée l'élèvent et la tiennent suspendue dans l'admiration de son Epoux bien-aimé. Enfin, par l'excès de sa joie elle se trouve plongée dans les délices les plus suaves et elle s'appuie entièrement sur son Bien-Aimé.
1 Cant., 3.
Alors notre esprit devient hiérarchique dans ses degrés d'élévation , et conforme à cette Jérusalem céleste où nul ne peut entrer , à moins que par la grâce elle ne descende d'abord elle-même en notre coeur, comme saint Jean dans son Apocalypse la vit descendre. Or, elle vient ainsi en nous lorsque par la réforme de notre image intérieure , par les vertus théologales , par la joie de nos sens spirituels, par le transport des ravissements, notre esprit est vraiment devenu hiérarchique, c'est-à-dire lorsqu'il est purifié, illuminé et rendu parfait. Ainsi il représente les neuf degrés des ordres célestes lorsqu'on trouve en lui successivement l'annonce des vérités, leur enseignement, leur direction , le bon ordre, l'affermissement, l'empire sur soi-même , le ravissement, la révélation et l'union, car tous ces degrés correspondent aux neuf ordres des anges. Les trois premiers se rapportent à la nature de l'âme ; les trois qui viennent ensuite , à ses exercices spirituels , et les trois derniers à la grâce. Quand l'âme, enrichie de ces dons, rentre en elle-même , elle pénètre dans la Jérusalem céleste, elle y contemple les choeurs des anges, et y voit Dieu qui a fixé en eux sa demeure et opère toutes leurs oeuvres. « Car, dit saint Bernard, Dieu aime dans les Séraphins comme charité; il connaît dans les Chérubins comme vérité; il est assis sur les Trônes comme équité ; il règne dans les Dominations comme majesté; il gouverne comme principe dans les Principautés; il protége comme salut dans les Puissances ; il opère comme vertu dans les vertus; il éclaire comme lumière dans les Archanges; il assiste comme piété dans les Anges (1). » Ainsi nous reconnaissons que Dieu est toutes choses en tout, lorsque nous le contemplons en nos âmes où il habite par les dons de sa charité surabondante.
Mais, pour arriver à ce degré de contemplation , nous devons nous appuyer d'une manière spéciale et particulière sur les enseignements de la sainte Ecriture divinement inspirée , comme nous nous sommes appuyés sur la philosophie pour le degré précédent ; car l'objet principal de la sainte Ecriture est de traiter des oeuvres de notre réparation. Ainsi elle nous instruit spécialement de la foi, de l'espérance et de la charité, parce que c'est par ces vertus que notre âme se reforme; mais elle traite d'une façon plus spéciale encore de la charité; car l'Apôtre a dit que la charité est la fin des commandements lorsqu'elle vient d'un coeur pur, d'une conscience bonne et d'une foi sincère. Elle est la plénitude de la foi (2).
1 Lib. 5, de Consid., c. 5. — 2 I Tim., 1 — Rom., 15.
Et Notre Seigneur lui-même nous assure que la Loi et les Prophètes sont tout entiers dans le double précepte de l'amour de Dieu et du prochain (1). Or ce double précepte trouve son accomplissement dans l'amour de Jésus-Christ, l'Epoux de l'Eglise. Il est en effet notre Dieu et notre prochain, notre frère et notre Seigneur, notre roi et notre ami , le Verbe incarné et le Verbe incréé, notre Créateur et notre Rédempteur, notre principe et notre fin. Il est le Pontife suprême qui purifie , illumine et perfectionne son épouse, l'Eglise entière et toute âme sainte. C'est de ce Pontife et de la hiérarchie établie par lui que traite toute la divine Écriture ; c'est par elle que nous apprenons à nous purifier, à nous éclairer , à marcher vers la perfection , et cela selon la loi de la nature, la loi écrite et la loi de grâce; ou plutôt selon les trois parties principales que cette même Écriture renferme : la loi de Moïse qui purifie, la révélation des Prophètes qui éclaire, et l'enseignement évangélique qui rend parfait. Ou plutôt encore elle nous apprend la même chose selon le triple sens spirituel de ses enseignements : le sens moral, qui nous purifie en nous faisant embrasser une vie exempte de péché; le sens allégorique, qui illumine notre intelligence des splendeurs de la foi ; et le sens mystique qui perfectionne notre âme en la conduisant à sortir d'elle-même et à goûter les suaves délices de la sagesse.
1 Mat,. 22.
Or, c'est en s'appuyant sur les trois vertus théologales, c'est avec ses sens spirituels ainsi reformés, c'est au moyen de ces trois ravissements dont nous avons parlé , et de ces actes hiérarchiques que notre âme rentre au-dedans d'elle-même pour y contempler Dieu dans les splendeurs des saints, pour goûter un sommeil paisible comme sur sa couche et s'y reposer dans le bras de son Epoux qui conjure les filles de Jérusalem de ne pas tirer sa bien-aimée de son repos, jusqu'à ce qu'elle s'éveille d'elle-même (1).
Ainsi ces deux degrés où nous avons appris à contempler Dieu en notre âme comme dans un miroir qui réfléchit l'image des choses créées, sont comme les deux ailes étendues qui aident le séraphin dans son vol. Par ces deux ailes nous pouvons comprendre que les puissances naturelles de notre âme nous conduisent aux choses célestes par leurs opérations, leurs habitudes et leurs lumières scientifiques. C'est ce que nous avons vu dans le troisième degré. Nous y sommes conduits également par les puissances reformées de notre âme, et cela à l'aide des vertus gratuites, de nos sens spirituels et des ravissements de l'esprit. Nous y arrivons néanmoins aussi par les opérations hiérarchiques qui s'accomplissent en nous : la purification, l'illumination et la perfection de nos âmes, opérations où nous sommes aidés par la révélation des saintes Ecritures que nous avons reçues des anges, selon cette parole de l'Apôtre : La loi nous a été donnée par les anges et par l'entremise d'un médiateur (2). Enfin nous y arrivons par les ordres hiérarchiques que nous pouvons disposer en notre âme à l'instar de celles de la Jérusalem céleste.
1 Cant., 2. — 2 Gal., 3.
Quand la divine sagesse a ainsi rempli cette aine de tant de lumières , Dieu habite en elle comme en sa demeure; car elle est devenue sa fille, son épouse, sa bien-aimée; elle est un membre de Jésus-Christ , son chef; elle est sa sœur, sa cohéritière; elle est le temple du Saint-Esprit , temple fondé par la foi , élevé par l'espérance, et consacré par la pureté du corps et de l'esprit. Tout cela s'accomplit par la charité de Jésus-Christ qui est répandue en nos cœurs par le Saint-Esprit, qui nous a été donné et sans lequel nous sommes impuissants à connaître les secrets de Dieu. Car de même que nul ne peut savoir ce qu'il y a en l'homme si ce n'est son esprit qui habite en lui, ainsi personne ne connaît ce qui est en Dieu sinon l'esprit de Dieu. Établissons-nous donc et enracinons-nous dans la charité afin de comprendre avec tous ses saints la longueur de son éternité, la largeur de sa libéralité , la sublimité de sa majesté et la profondeur de ses jugements pleins de sagesse.
Source: Itinéraire de l'Âme à Dieu - Saint Bonaventure - Œuvres spirituelles
14:45 Publié dans Religion | Tags : saint bonaventure, contemplation, grâce | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.