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30/06/2015

Saint Bonaventure - Itinéraire de l'âme à Dieu - Chapitre V

 

Saint Bonaventure

Ordre des Frères Mineurs--Cardinal-Évêque d'Albane--Docteur de l’Église

Itinéraire de l’Âme à Dieu

 

PROLOGUE.

CHAPITRE PREMIER. Des degrés d'élévation à Dieu, et de la contemplation du Seigneur par les traces de sa puissance créatrice.

CHAPITRE II.De la contemplation de Dieu dans les traces de sa présence imprimées en ce monde sensible.

CHAPITRE III. De la contemplation de Dieu par son image gravée dans les facultés naturelles de notre âme.

CHAPITRE IV. De la contemplation de Dieu en son image reformée par la grâce divine.

CHAPITRE V. De la contemplation de l'unité divine par son nom principal, qui est l’ETRE.

CHAPITRE VI. De la contemplation de la Trinité bienheureuse en son nom, qui est SOUVERAINEMENT BON.

CHAPITRE VII. Du ravissement spirituel et mystique, dans lequel le repos est donné à notre intelligence et notre affection passe tout entière en Dieu.

 

CHAPITRE V. De la contemplation de l'unité divine par son nom principal, qui est l’ETRE.

 

Nous pouvons contempler Dieu non-seulement hors de nous et en nous, mais encore au-dessus de nous; hors de nous par les traces de sa présence empreintes dans les créatures, en nous par son image, et au-dessus de nous par la lumière dont il a gravé le sceau en notre âme, par la lumière de l'éternelle vérité qui a formé elle-même cette âme. Ceux qui se sont exercés dans le premier degré, sont entrés dans le parvis placé devant le tabernacle; ceux qui ont parcouru le second, se sont avancés jusque dans le lieu saint; et ceux qui ont passé par le troisième, ont pénétré avec le Grand-Prêtre jusque dans le Saint des saints, où les glorieux Chérubins élevés au-dessus de l'arche ombragent de leurs ailes le propitiatoire. Or, par ces deux Chérubins sont représentés les deux modes ou les deux degrés par lesquels nous contemplons ce qui est invisible et éternel en Dieu. Le premier s'attache à son essence sacrée, le second à la propriété des personnes divines. Le premier mode fixe principalement et avant tout son regard sur l'Etre lui-même, car il nous dit que ce nom il est, est le premier nom de Dieu. Le second considère ce qui est bon en Dieu, et il nous apprend que la bonté est le premier de ses noms. Le premier se rapporte davantage au Testament ancien, qui annonce surtout l'unité de Dieu ; ainsi il a été dit à Moïse : Je suis celui qui est (1). Le second regarde plutôt le Nouveau , où la pluralité des personnes divines est déterminée dans le baptême au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Aussi le Seigneur notre maître , voulant élever à la perfection évangélique un jeune homme qui avait accompli la loi, donne-t-il à Dieu d'une manière principale et exclusive le nom de bon.

 

1 Exod., 3.

 

« Personne n'est bon, si ce n'est Dieu seul (1). » Ainsi saint Jean de Damas, suivant Moïse, dit : Celui qui est est le premier nom de Dieu; et saint Denis, s'attachant à Jésus-Christ, dit : Bon est le premier nom de Dieu (2).

 

Que celui donc qui désire contempler ce qui est invisible en Dieu, quant à son unité, fixe ses regards sur son être lui-même , et qu'il reconnaisse que cet être est une qualité si certaine en Dieu qu'on ne saurait le concevoir sans elle; car l'être absolu ne peut se montrer sans exclure entièrement le néant, comme le néant est entièrement l'opposé de l'être. De même donc que le néant parfait n'a rien de l'être ni de ses qualités, de même l'être n'a rien du non-être, ni dans ses actes , ni dans sa puissance, ni en réalité , ni dans notre appréciation. Le néant étant la privation de l'existence, ne peut même être compris que par l'être, tandis que l'être, pour être conçu, n'a pas besoin d'un secours étranger, car tout ce qui est connu par notre intelligence l'est ou comme n'étant pas, ou comme possible, ou comme réel. Si donc le non-être ne peut être conçu que par l'être , et l'être possible que par l'être réel et actuel ; si le nom d'être exprime l'acte simple de l'existence, il s'ensuit que l'être est la première idée qui tombe en notre intelligence, et que cet être est celui qui a l'existence pure et actuelle. Mais cet être n'est point un être particulier, car l'être particulier est renfermé en des limites et se trouve lié à l'être possible; ce n'est point non plus un être en général , car un tel être n'a point d'existence actuelle, attendu qu'il ne saurait en avoir en aucune façon. Il faut donc que cet être soit l'Etre divin.

 

1 Marc., 10. — 2 Dam., lib. de fid. orth., c. 12; — Dion., de div. nom., c. 4.

 

C'est un aveuglement singulier de notre intelligence de ne point considérer ce qui s'offre d'abord à ses regards, ce sans quoi il lui est impossible de rien connaître. Mais de même que l'oeil fixé sur diverses couleurs ne voit point la lumière qui les lui découvre ou ne la remarque pas s'il la voit, de même l'ail de notre âme, arrêté sur les êtres particuliers et généraux , oublie l'être par excellence, bien qu'il s'offre tout d'abord à ses regards et que le reste ne soit visible que par lui. Cet oeil de notre âme se montre donc, en présence de tout ce qu'il y a de plus éclatant dans la nature, réellement semblable à l'oeil des oiseaux nocturnes en présence de la lumière. Accoutumé aux ténèbres des êtres créés, aux fantômes des choses sensibles , notre esprit s'imagine ne rien apercevoir alors qu'il s'arrête sur les splendeurs mêmes de l'Erre souverain, ne comprenant pas que cette obscurité si profonde, qui semble alors le frapper, est la plus brillante des illuminations. Ainsi l'oeil de notre corps s'arrêtant sur la pure lumière du soleil, croit ne rien voir.

 

Contemplez donc l'être très-pur et par excellence , si vous le pouvez; vous comprendrez qu'il est impossible de se le représenter comme recevant l'existence d'un autre, et qu'ainsi il doit nous apparaître nécessairement comme l'être premier sans restriction , gomme rétro qui ne saurait tirer son origine du néant, ni d'un être quelconque. En effet, que serait l'être existant par lui-même, s'il n'était point le principe et la cause de son existence? Vous le verrez ensuite entièrement étranger à toute imperfection , et par conséquent n'ayant jamais commencé, ne devant jamais finir, mais demeurant éternellement. En troisième lieu , tout ce qu'il possède n'est que l'être lui-même, et ainsi il n'est point composé, mais d'une simplicité parfaite. Quatrièmement, il n'a rien en lui à l'état de possible, car tout ce qui est possible participe au néant par un côté, et ainsi il est souverainement actuel. Cinquièmement, il n'y a en lui rien de défectible , et ainsi il a la perfection suprême. Enfin , vous ne trouverez en lui aucune diversité, et par là vous comprendrez qu'il est souverainement un.

 

L'être qui est purement, simplement et absolument, est donc l'être premier, éternel et très-simple , l'être très-actuel, très-parfait et souverainement un. Toutes ces idées sont tellement certaines que cet être ne peut s'offrir à notre intelligence avec rien qui leur soit opposé, et que l'une entraîne nécessairement la vérité des autres. Ainsi , comme il est l'être simplement, il s'ensuit qu'il est simplement premier; étant simplement premier, il n'a pas reçu l'existence d'un autre, il ne se l'est pas donnée à soi-même : donc il est éternel. De même , comme il est premier et éternel , et qu'ainsi il n'est pas composé de plusieurs autres, il est donc un être très-simple. Ensuite étant premier, éternel et très-simple , rien à l'état de possible n'est mélangé à ce qui est actuel en lui, et ainsi il est un être très-actuel. De ce qu'il est premier, éternel, très-simple et très-actuel, il s'ensuit qu'il est très-parfait; car rien ne manque à celui qui réunit ces qualités et rien de nouveau ne saurait s'ajouter à ce qu'il possède. De tout cela, il faut conclure qu'il est souverainement un ; car lorsque nous lui attribuons une surabondance en tout genre, cette idée s'étend à toutes ses perfections; mais lorsque nous disons que cette surabondance est absolue, nous déclarons qu'elle ne saurait convenir qu'à un seul. Si donc Dieu exprime l'idée d'être premier, éternel , très-simple, très-actuel, très-parfait, il est impossible de penser qu'il n'est pas , ou qu'il n'est pas un. Ecoute donc, ô Israël, ton Dieu est un Dieu unique (1).

 

Si vous voyez ces choses dans la pure simplicité de votre esprit , vous êtes déjà éclairé des rayons de la lumière éternelle; mais il y a ici de quoi vous transporter d'admiration. Cet être est en même temps le premier et le dernier, éternel et très-présent, très-simple et très-grand, très-réel et très-immuable, très-parfait et immense, souverainement un et renfermant tout en lui. Si vous admirez tout cela avec une âme pure, portez vos regards plus avant et vous serez éclairé d'une lumière plus grande encore, car vous découvrirez qu'il est le dernier parce qu'il est le premier. En effet, étant le premier, il a tout fait à cause de lui-même, et ainsi il est nécessaire qu'il soit la fin dernière , le principe et la consommation , l'alpha et l'oméga. Vous découvrirez qu'il est très-présent parce qu'il est éternel; car ce qui est éternel n'est point terminé par quelque chose, ne cesse pas en soi-même , ne passe pas d'une chose à une autre , n'a en soi ni passé ni futur, et est ainsi très-présent. Dieu est très-grand parce qu'il est très-simple. En effet, étant très-simple en son essence, il doit être très-grand en vertu : car, plus la vertu est une, plus elle est infinie. Il est très-immuable parce qu'il est très-réel ; car, l'être très-réel est à l'état d'existence simple, et dès-lors il ne peut rien acquérir ni rien perdre de ce qu'il possède, et par conséquent il est immuable. Il est immense parce qu'il est très-parfait, car la perfection suprême est telle qu'on ne peut rien imaginer de meilleur, de plus excellent , de plus digne, de plus grand, et ainsi ce qui est très-parfait est nécessairement immense. Enfin , il renferme tout parce qu'il est souverainement un; car, par cette unité suprême , il est le principe universel de tous les êtres , et par là même il est leur cause efficiente , leur modèle et leur terme; ou autrement, il est la source de leur existence, la raison de leur intelligence et la règle de leur vie. Il est donc tout, non par essence, mais comme cause surexcellente, universelle et très-suffisante de tous les êtres; et comme la vertu d'une telle cause est souverainement une en son essence , il s'ensuit qu'elle est souverainement infinie et multiple en ses effets.

 

1 Deut., 6.

 

Reprenons et disons : l'Etre très-pur et absolu qui est l'être simplement , étant le premier et le dernier, est le principe et la fin suprême de toutes choses. Il est éternel et très-présent : donc il embrasse et pénètre toutes les durées comme leur centre et leur circonférence. Il est très-simple et très-grand : donc il est tout entier cri toutes choses , et tout entier hors d'elles ; et ainsi il est une sphère intelligible dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Il est très-réel et très-immuable : donc, en demeurant dans cette immutabilité, c'est lui qui donne le mouvement à tous les êtres. Il est très-parfait et immense : donc il est en toutes choses sans y être renfermé, hors de toutes choses saris en être exclu , au-dessus sans être plus élevé, au-dessous sans être plus bas. Il est souverainement un et il réunit toutes les manières d'être: donc il est tout en tous, quoique ce mot de tout embrasse une multitude de choses et que Dieu ne soit qu'un ; car, par son unité très-simple , sa vérité très-pure , sa bonté très-réelle, il y a en lui toute vertu , tout modèle et toute puissance pour se communiquer; et ainsi de lui , par lui et en lui sont toutes choses, parce qu'eu lui nous avons la toute-puissance, la science parfaite, la bonté suprême; et le voir parfaitement , c'est posséder le souverain bonheur, selon cette parole adressée à Moïse : Je te montrerai tout bien (1).

 

1 Exod., 33.

 

 

 

Source: Itinéraire de l'Âme à Dieu - Saint Bonaventure - Œuvres spirituelles

 

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