26/05/2015
Saint Tarcisius par Paul Claudel
Comme le vase qu'un parfum excellent est si fort que de tout pénétrer,
Ainsi Tarcisius (car nous sommes au temps des persécutions) à qui le prêtre a remis quelque chose à porter,
Attaché par un cordon à son cou, qu'il le garde bien soigneusement contre son coeur !
Car ce petit morceau de pain, dans une boîte, il sait que ce n'est rien d'autre que Notre-Seigneur.
Il y a quelqu'un demain que les bêtes vont manger et qui se soir a besoin de l'[H]ostie.
C'est pourquoi Notre-Seigneur s'est mis en marche et Tarcisius ne fait qu'un avec [L]ui.
C'est moi entre tous les camarades qu'on a choisi et le vieux prêtre a eu raison :
Qu'on essaye de me prendre Jésus-Christ, et l'on verra de quoi est capable un petit garçon !
- Il y a dans les yeux de cet enfant quelque chose qu'il est impossible de tolérer !
Quoi ! C'est ce gosse qui aurait raison, et nous autres, les grandes personnes, c'est donc nous, qui nous serions trompés !
Ce n'est pas le moment de discuter, mon avis est qu'on tape dessus !
Les affaires de l'Empire ne vont pas fort, il n'est que temps d'en finir avec ce Jésus !
Il y a dans les yeux de cet enfant un regard qui ne s'accorde pas avec notre politique.
Vénus, mère du grand Jules, dit que ça lui fait mal au coeur, et Jupiter Capitolin lui-même fait comprendre qu'il a la colique.
Assez de questions ! ce qu'on sent qu'il a sur les lèvres pour nous dire, il n'y a qu'un moyen de l'empêcher !
Qu'il nous livre Jésus-Christ tout de suite, ou nous allons l'assommer !
Comme la myrrhe avec son parfum, comme le lys avec son odeur,
Ainsi Tarcisius au milieu des méchants ne fait plus qu'un avec Notre-Seigneur.
Comme le lys avec son odeur, il ne fait plus qu'un avec l'hostie.
Comment lui prendrait-on son Jésus alors qu'il ne fait plus qu'une seule chose avec lui ?
- Quel est ce bruit que tu entends, Tarcisius ? un tintement comme d'une petite sonnette...
Et non point une seulement, une autre ! et encore d'autres à la fois, dix ou douze, et centte mille de tous côtés, un million de petites voix, dix millions de petites vierges d'argent, claires et nettes !
C'est un enfant qui fait ce petit bruit tout seul au-dessus de la Terre prosternée.
Toute la Terre a fait silence et sur les marches de l'autel il n'y a qu'un enfant agenouillé.
Chaque fois que l'on dit la [M]esse, Dieu récompense son serviteur.
Il a fait de Tarcisius le patron des enfants de choeur.
C'est lui qui dit la [M]esse avec le prêtre chaque matin, son sang
Sur les marches de l'autel de Dieu est mêlé à ce petit peuple blanc.
Chaque fois que le prêtre se retourne et que l'acolyte sur son livre voit qu'il faut répondre : Et avec ton esprit !
C'est Tarcisius qui fait son devoir et qui se tient où on l'a mis.
Et toutes les fois qu'un enfant meurt et que la force quand il le voudrait est enlevée de dire Je ne veux pas et Non,
C'est Tarcisius, plein d'obéissance et de gloire, qui fait sa première communion.
Claudel, P. Ecoute ma Fille. s.l, Gallimard. 1934. 80-83.
07:00 Publié dans Culture et société, Liturgie et Sacrements, Religion, Saints | Tags : martyre, saint sacrement, sainteté, enfant de choeur, acolyte, paul claudel, obéissance, littérature française | Lien permanent | Commentaires (0)
05/05/2015
La Vierge à midi - Paul Claudel
Pendant le mois de mai, dédié à la Sainte Vierge, Espérance Nouvelle vous propose chaque jour un texte ou un cantique en son honneur.
Il est midi. Je vois l'église ouverte. Il faut entrer.
Mère de Jésus-Christ, je ne viens pas prier.
Je n'ai rien à offrir et rien à demander,
Je viens seulement, Mère, pour vous regarder.
Vous regarder, pleurer de bonheur, savoir cela
Que je suis votre fils et que vous êtes là.
Rien que pour un moment pendant que tout s'arrête.
Midi !
Etre avec vous, Marie, en ce lieu où vous êtes.
Ne rien dire, mais seulement chanter parce qu'on a le coeur trop plein,
Comme le merle qui suit son idée en ces espèces de couplets soudains.
Parce que vous êtes belle, parce que vous êtes immaculée,
La femme dans la Grâce enfin restituée,
La créature dans son honneur premier et dans son épanouissement final,
Telle qu'elle est sortie de Dieu au matin de sa splendeur originale.
Intacte ineffablement parce que vous êtes la Mère de Jésus-Christ,
Qui est la vérité entre vos bras, et la seule espérance et le seul fruit.
Parce que vous êtes la femme, l'Eden de l'ancienne tendresse oubliée,
Dont le regard trouve le cœur tout à coup et fait jaillir les larmes accumulées,
Parce que vous m'avez sauvé, parce que vous avez sauvé la France,
Parce qu'elle aussi, comme moi, pour vous, fut cette chose à laquelle on pense,
Parce qu'à l'heure où tout craquait, c'est alors que vous êtes intervenue,
Parce que vous avez sauvé la France une fois de plus,
Parce qu'il est midi, Parce que nous sommes en ce jour d'aujourd'hui,
Parce que vous êtes là pour toujours, simplement parce que vous êtes Marie, simplement parce que vous existez,
Mère de Jésus-Christ, soyez remerciée !
Claudel, P. Ecoute ma Fille. s.l, Gallimard. 1934. 42-43.
> Lire les autres poèmes de Paul Claudel parus sur Espérance Nouvelle
> tous les articles sur le mois de la Sainte Vierge publiés sur Espérance Nouvelle
08:29 Publié dans Culture et société, Religion, Saints | Tags : mois de mai, mois de marie, paul claudel, littérature, vierge marie, espérance, prier, aimer, église, merci | Lien permanent | Commentaires (0)
14/01/2015
L'Enfant Jésus de Prague
La statuette de l’Enfant Jésus en cire, revêtue de tenues brodées par des fidèles en signe d’action de grâce, serait originaire d’Espagne. Apportée à Prague en 1620, elle a été offerte aux Carmélites.
Elle a servi de support à la dévotion envers l’enfance du Christ et a été accompagnée de nombreux faits miraculeux.
Une chapelle conçue pour abriter la statue a été inaugurée le 14 janvier 1644, fête du Saint Nom de Jésus et, malgré quelques silences, la dévotion s’est perpétuée jusqu’à nos jours.
Paul Claudel fut ambassadeur à Prague entre 1909 et 1911. C’est à cette occasion, qu’il écrivit ce très beau poème.
Il neige. Le grand monde est mort sans doute. C’est décembre.
Mais qu’il fait bon, mon Dieu, dans la petite chambre !
La cheminée emplie de charbons rougeoyants
Colore le plafond d’un reflet somnolent,
Et l’on n’entend que l’eau qui bout à petit bruit.
Là-haut sur l’étagère, au-dessus des deux lits,
Sous son globe de verre, couronne en tête,
L’une des mains tenant le monde, l’autre prête
À couvrir ces petits qui se confient à elle,
Tout aimable dans sa grande robe solennelle
Et magnifique sous cet énorme chapeau jaune,
L’Enfant Jésus de Prague règne et trône.
Il est tout seul devant le foyer qui l’éclaire
Comme l’hostie cachée au fond du sanctuaire,
L’Enfant-Dieu jusqu’au jour garde ses petits frères.
Inentendue comme le souffle qui s’exhale,
L’existence éternelle emplit la chambre, égale
À toutes ces pauvres choses innocentes et naïves !
Quand il est avec nous, nul mal ne nous arrive.
On peut dormir, Jésus, notre frère, est ici.
Il est à nous, et toutes ces bonnes choses aussi :
La poupée merveilleuse, et le cheval de bois,
Et le mouton sont là, dans ce coin tous les trois.
Et nous dormons, mais toutes ces bonnes choses sont à nous !
Les rideaux sont tirés… Là-bas, on ne sait où,
Dans la neige et la nuit sonne une espèce d’heure.
L’enfant dans son lit chaud comprend avec bonheur
Qu’il dort et que quelqu’un qui l’aime bien est là,
S’agite un peu, murmure vaguement, sort le bras,
Essaye de se réveiller et ne peut pas.
Paul Claudel.
> Source : Saint François Xavier à Paris
Claudel, P. Ecoute ma Fille. s.l, Gallimard. 1934. 9-10
> Sanctuaire de l'Enfant-Jésus de Prague à Bruxelles
> Sanctuaire de l'Enfant-Jésus de Prague à Horion-Hozémont (Belgique)
Autres poèmes de Paul Claudel publiés sur Espérance Nouvelle :
14:33 Publié dans Culture et société, Liturgie: actualité, Religion | Tags : enfant jésus, prague, paul claudel, littérature française | Lien permanent | Commentaires (0)
06/01/2015
L'Epiphanie par Paul Claudel
En ce petit matin de l’An tout neuf, quand le givre sous les pieds est criant comme du cristal,
Et que la terre en brillant, future, apparaît dans son vêtement baptismal,
Jésus, fruit de l’ancien Désir, maintenant que Décembre est fini,
Se manifeste, qui commence, dans le rayonnement de l’Epiphanie.
Et l’attente pourtant fut longue, mais les deux autres avec Balthazar
A travers l’Asie et le démon cependant se sont mis en marche trop tard
Pour arriver avant la fin de ce temps qui précède Noël,
Et ce qui les entoure, c’est déjà le Six de l’Année nouvelle !
Voici l’étoile qui s’arrête, et Marie avec son Dieu entre les bras qui célèbre !
Il est trop tard maintenant pour savoir ce que c’est que les ténèbres !
Il n’y a plus qu’à ouvrir les yeux et regarder,
Car le Fils de Dieu avec nous, voici déjà le douzième jour qu’il est né !
Gaspard, Melchior et le troisième offrent les présents qu’ils ont apportés.
Et nous, regardons avec eux Jésus-Christ, en ce jour, qui nous est triplement manifesté.
Le mystère premier, c’est la proposition aux Rois qui sont en même temps les Sages.
Car, pour les pauvres, c’est trop simple, et nous voyons qu’autour de la Crèche le paysage
Tout d’abord avec force moutons ne comporte que des bonnes femmes et des bergers
Qui d’une voix confessent le Sauveur sans aucune espèce de difficulté.
Ils sont si pauvres, que cela change à peine le bon Dieu,
Et son Fils, quand il naît, se trouve comme chez Lui avec eux.
Mais avec les Savants et les Rois, c’est une bien autre affaire !
Il faut, pour en trouver jusqu’à trois, remuer toute la terre.
Encore est-il que ce ne sont pas les plus illustres ni les plus hauts,
Mais des espèces de magiciens pittoresques et de petits souverains coloniaux.
Et ce qu’il leur a fallu pour se mettre en mouvement, ce n’est pas une simple citation,
C’est une étoile du Ciel même qui dirige l’expédition,
Et qui se met en marche la première au mépris des Lois astronomiques
Spécialement insultées pour le plus grand labeur de l’Apologétique.
Quand une étoile qui est fixe depuis le commencement du monde se met à bouger,
Un roi, et je dirai même un savant, quelquefois peut consentir à se déranger.
C’est pourquoi Joseph et Marie un matin voient s’amener Gaspard, Melchior et Balthazar,
Qui, somme toute, venant de si loin, ne sont pas plus de douze jours en retard.
Mère de Dieu, favorablement accueillez ces personnes honnêtes
Qui ne doutent pas un seul moment de ce qu’elles ont vu au bout de leurs lunettes.
Et ce qu’ils vous apportent à grand labeur du fond de la Perse ou de l’Abyssinie,
Tout de même ce sont des présents de grand sens et de grand prix :
L’or (qu’on obtient aujourd’hui avec les broyeurs et le cyanure),
Et qui est l’étalon même de la Foi sans nulle fraude ni rognure ;
La myrrhe, arbuste rare dans le désert qu’il a fallu tant de peines pour préserver,
Dont le parfum sépulcral et amer est le symbole de la Charité ;
Et pincée de cendre immortelle soustraite à tant de bûchers,
L’unique once d’encens, c’est l’Espoir, que Melchior est venu vous apporter,
Au moyen de mille voitures et de deux cent quatre-vingts chameaux à la file,
Qui sans aucune exception ont passé par le trou d’une aiguille
La deuxième Epiphanie de Notre-Seigneur, c'est le jour de Son baptême dans le Jourdain.
L'eau devient un sacrement par la vertu du Verbe qui S'y joint.
Dieu nu entre aux fonts de ces eaux profondes où nous sommes ensevelis.
Comme elles Le font un avec nous, elles nous font Un avec Lui.
Jusqu'au dernier puits dans le désert, jusqu'au trou précaire dans le chemin,
Il n'est pas une goutte d'eau désormais qui ne suffise à faire un chrétien,
Et qui, communiquant en nous à ce qu'il y a de plus vital et de plus pur,
Intérieurement pour le Ciel ne féconde l'astre futur.
Comme nous n'avons point de trop dans le Ciel de ces gouffres illimités
Dont nous lisons que la Terre à la première ligne du Livre fut séparée,
Le Christ à son âge parfait entre au milieu de l'Humanité,
Comme un voyageur altéré à qui ne suffirait pas toute la mer.
Pas une goutte de l'Océan où il n'entre et qui ne Lui soit nécessaire.
« Viderunt te Aquœ, Domine », dit le Psaume. Nous Vous avons connu !
Et quand du milieu de nous de nouveau Vous émergez ivre et nu,
Votre dernière langueur avant que Vous ne soyez tout-à-fait mort,
Votre dernier cri sur la Croix est que Vous avez soif encore !
Et le troisième mystère précisément, c'est à ce repas de noces en Galilée,
(Car la première fois qu'on Vous voit, ce n'est pas en hôte, mais en invité),
Quand Vous changeâtes en vin, sur le mot à mi-voix de Votre Mère,
L'eau furtive récelée dans les dix urnes de pierre.
Le marié baisse les yeux, il est pauvre, et la honte le consterne :
Ce n'est pas une boisson pour un repas de noces que de l'eau de citerne!
Telle qu'elle est au mois d'août, quand les réservoirs ne sont pas grands,
Toute pleine de saletés et d'insectes dégoûtants.
(Tels les sombres collégiens qui sablent comme du Champagne
Tout Ernest Havet liquéfié dans les fioles de la Saint-Charlemagne !)
Un mot de Dieu suffit à ces vendanges dans le secret,
Pour que notre eau croupie se change en un vin parfait.
Et le vin d'abord était plat, à la fin voici le meilleur !
C'est bien. Ce que nous avons reçu, nous Vous le rendrons tout-à-l'heure.
Et Vous direz si ce n'est pas le meilleur que nous avons réservé pour la fin,
Ce nectar sur une sale éponge, tout trempé de lie et de fiel,
Qu'un commissaire de police Vous offre pour faire du zèle !
L'Epiphanie du jour est passée et il ne nous reste plus que celle de la nuit,
Où l'on fait voir aux enfants les Mages qui redescendent vers leur pays,
Par un chemin différent, tous les trois en une ligne oblique.
C'est un grand ciel nu d'hiver avec tous ses astres et astérisques,
Un de ces ciels, blanc sur noir, comme il en fonctionne au dessus de la Chine du Nord et de la Sibérie,
Avec six mille étoiles de toutes leurs forces les plus grosses, qui palpitent et qui télégraphient !
Quel est parmi tant de soleils celui qu'un ange arracha comme une torche au hasard.
Pour éclairer le chemin où procèdent les trois Vieillards ?
On ne sait pas. La nuit est redevenue la même et tout brûle de toutes parts en silence.
Le livre illisible du Ciel jusqu'à la tranche est ouvert en son irrésistible évidence.
Salut, grande Nuit de la Foi, infaillible Cité astronomique !
C'est la Nuit, et non pas le brouillard, qui est la patrie d'un catholique,
Le brouillard qui aveugle et qui asphyxie, et qui entre par la bouche et les yeux et par tous les sens,
Où marchent sans savoir où ils sont l'incrédule et l'indifférent,
L'aveugle et l'indifférent dans le brouillard sans savoir où ils sont et qui ils sont,
Espèces d'animaux manques incapables du Oui et du Non !
Voici la nuit mieux que le jour qui nous documente sur la route
Avec tous ses repères à leur place et ses constellations une fois pour toutes,
Voici l'An tout nouveau, le même, qui se lève, avec ses millions d'yeux tout autour vers le point polaire,
Ton siège au milieu du Ciel, ô Marie, Étoile de la Mer !
Paul Claudel
Claudel, P. Ecoute ma Fille. s.l, Gallimard. 1934. 11-18.
Autre poème de Paul Claudel publiés sur Espérance Nouvelle :
14:57 Publié dans Culture et société, Liturgie et Sacrements, Liturgie: actualité, Saints | Tags : épiphanie, mages, rois, nativité, noël, paul claudel, claudel, littérature française | Lien permanent | Commentaires (0)
21/12/2014
21 décembre, la fête de Saint Thomas
Comme un homme qui ne commence pas à bâtir avant que tout l'argent soit réuni,
Comme un prince qui ne déclare pas la guerre avec vingt mille hommes quand il en a cent mille contre lui,
Ainsi Thomas qui laisse l'Évangile (et l'année), presque tout, finir avant que son nom s'y trouve.
Et certes il suit Jésus, ne dit rien, mais l'on ne voit pas qu'il approuve,
Jusqu'à ce qu'il s'avance, tout-à-coup (un peu avant que le calendrier soit fini),
Et crie violemment aux autres : « Allons et mourons tous avec Lui ! »
Mais, Seigneur, cependant pour moi c'est une grande chose que de mourir !
C'est une grande chose que d'être Votre Apôtre et cependant je suis prêt à consentir.
Je suis prêt à croire ce que Vous dites, à la condition que ce soit sûr,
Je suis prêt terriblement à m'ouvrir si Vous savez porter dans ce cœur dur,
Plus dur qu'une souche de chêne et qu'un bois serré de châtaignier,
La hache et le coup si profond que le fer y reste enfoncé !
Et je veux bien mourir, mais c'est à la condition
Que Vous mouriez le premier et que toute la Passion,
Toute sans qu'il y manque rien soit consommée, et que de nouveau Vous soyez là,
Ressuscité de la tombe, et que Vous médisiez : Thomas !
Je veux bien Vous croire, Seigneur, et faire ce que Vous voulez,
Si Vous souffrez que je sois un moment dans les trous de Vos mains et de Vos pieds.
Et je dirai que c'est Vous et que Vous êtes mon Dieu et mon Seigneur,
Si Vous me laissez Vous toucher et mettre la main dans Votre cœur !
Paul Claudel,
autres textes de Paul Claudel :
16:43 Publié dans Culture et société, Saints | Tags : saint thomas, conversion, croire, plaies du christ, paul claudel, littérature, poème | Lien permanent | Commentaires (0)
Paul Claudel se convertit un soir de Noël
"J'avais complètement oublié la religion et j'étais à son égard d'une ignorance de sauvage. La première lueur de vérité me fut donnée par la rencontre des livres d'un grand poète, à qui je dois une éternelle reconnaissance, et qui a eu dans la formation de ma pensée une part prépondérante, Arthur Rimbaud. La lecture des Illuminations, puis, quelques mois après, d'Une saison en enfer, fut pour moi un événement capital. Pour la première fois, ces livres ouvraient une fissure dans mon bagne matérialiste et me donnaient l'impression vivante et presque physique du surnaturel. Mais mon état habituel d'asphyxie et de désespoir restait le même. Tel était le malheureux enfant qui, le 25 décembre 1886, se rendit à Notre-Dame de Paris pour y suivre les offices de Noël. Je commençais alors à écrire et il me semblait que dans les cérémonies catholiques, considérées avec un dilettantisme supérieur, je trouverais un excitant approprié et la matière de quelques exercices décadents. C'est dans ces dispositions que, coudoyé et bousculé par la foule, j'assistai, avec un plaisir médiocre, à la grand'messe. Puis, n'ayant rien de mieux à faire, je revins aux vêpres. Les enfants de la maîtrise en robes blanches et les élèves du petit séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet qui les assistaient, étaient en train de chanter ce que je sus plus tard être le Magnificat. J'étais moi-même debout dans la foule, près du second pilier à l'entrée du chœur à droite du côté de la sacristie. Et c'est alors que se produisit l'événement qui domine toute ma vie. En un instant mon cœur fut touché et je crus. Je crus, d'une telle force d'adhésion, d'un tel soulèvement de tout mon être, d'une conviction si puissante, d'une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute, que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d'une vie agitée, n'ont pu ébranler ma foi, ni, à vrai dire, la toucher. J'avais eu tout à coup le sentiment déchirant de l'innocence, l'éternelle enfance de Dieu, une révélation ineffable."
13:44 Publié dans Culture et société, Personnalités, Religion, Sécularisation et rechristianisation | Tags : conversion, paul claudel, innocence, éternelle enfance de dieu, révélation inneffable, noël, nativité | Lien permanent | Commentaires (0)
03/12/2014
Saint François Xavier par Paul Claudel
(poème dédié par P. Claudel, NdEspN) A Francis Jammes pour sa fête.
Après Alexandre le Grand et ce Bacchus dont
parle la poésie,
Voici François, le troisième, qui se met en route
vers l'Asie,
Sans phalange et sans éléphants, sans armes et
sans armées,
Et non plus roi dans le grand bond des chiens
de guerre, et radieux, et couronné,
Le plus haut parmi la haute paille de fer et le
raisin d'Europe entre les doigts,
Mais tout seul, et petit, et noir, et sale, et
tenant fort la Croix !
Il s'est fait un grand silence sur la mer et le
bateau vogue vers Satan.
Déjà de ce seuil maudit il sort un souffle
étouffant.
Voici l'Enfer de toutes parts et ses peuples qui
marchent sans bruit,
Le Paradis de désespoir qui sent bon, et qui
hurle et qui tape dans la nuit !
D'un côté l'Inde, et le Japon là-bas, et la Chine,
et les grandes Iles putrides,
L'Inde tendue vers en bas, fumante de bûchers
et de pyramides,
Dans le cri des animaux fossoyeurs et l'odeur
de vache et de viande humaine,
(Noire damnée dans ton bourreau convulsive
fondue d'une soudure obscène,
O secret de la torture et profondeur du blas-
phème !)
D'un côté les millions de l'Asie, l'hoirie du
Prince de ce Monde,
(Et le trois fois infâme Bouddha tout blanc
sous la terre allongé comme un Ver immonde !)
D'un côté l'Asie jusqu'au ciel et profonde
jusqu'à l'Enfer !
(Il vient un souffle, il passe une risée sur la
mer) —
De l'autre ce bateau sur la mer un point noir !
et sur le pont
Sans une pensée pour le port, sans un regard
pour l'horizon,
Un prêtre en gros bas troués à genoux devant
le mât,
Lisant l'Office du jour et la lettre de Loyola.
Maintenant depuis Goa jusqu'à la Chine et
depuis l'Ethiopie jusqu'au Japon,
Il a ouvert la tranchée partout et tracé la
circonvallation.
Le diable n'est pas si large que Dieu, l'Enfer
n'est pas si vaste que l'Amour,
Et Jéricho après tout n'est pas si grande que
l'on n'en fasse le tour.
Il a reconnu tous les postes et levé l'enseigne
obsidionale;
Son corps pour l'éternité insulte à la porte
principale.
Il barre toutes les issues, il presse à toutes les
entrées de Sodome ;
L'immense Asie tout entière est cernée par ce
petit homme.
Plus pénétrant que la trompette et plus supé-
rieur que le tonnerre,
Il a cité la foule enfermée et proclamé la
lumière.
Voici la mort de la mort et l'arme au cœur de
la Géhenne,
La morsure au cœur de l'inerte Enfer pour qu'il crève et pourrisse sur lui-même !
François, capitaine de Dieu, a fini ses cara-
vanes ;
Il n'a plus de souliers à ses pieds et sa chair est plus usée que sa soutane. Il a fait ce qu'on lui avait dit de faire, non point tout, mais ce qu'il a pu : Qu'on le couche sur la terre, car il n'en peut plus. Et c'est vrai que c'est la Chine qui est là, et c'est vrai qu'il n'est pas dedans : Mais puisqu'il ne peut pas y entrer, il meurt devant. II s'étend, pose à côté de lui son bréviaire, Dit : Jésus ! pardonne à ses ennemis, fait sa prière, Et tranquille comme un soldat, les pieds joints et le corps droit, Ferme austèrement les yeux et se couvre du signe de la Croix.
Source: Claudel, P. Ecoute ma Fille. s.l, Gallimard. 1934. 119-122.
18:25 Publié dans Culture et société, Liturgie: actualité, Saints | Tags : saint françois xavier, saints, évangélisation, chine, jésuite, saint ignace, japon, paradis, enfer, amour de dieu, paul claudel, poésie, littérature française | Lien permanent | Commentaires (0)