Au XIXe siècle à Marseille, les œuvres de jeunesse s’adressent aux jeunes de « bonne famille ». Un milieu privilégié dont le Père Timon-David est issu. Sur l’appel de Dieu, il n’hésitera pas à laisser ce milieu derrière lui pour se consacrer pleinement au monde ouvrier. Car le Père Joseph-Marie Timon-David est à la jeunesse des milieux populaires comme lui-même est à Dieu.
Joseph-Marie naît en 1823, dans une famille profondément chrétienne. Les siens ont subi les affres de la Révolution, qu’il aura toujours en horreur. Étonnamment, il discernera aussi dans les troubles révolutionnaires un « bras de Dieu », dont l’effet aura été de lui ôter une certaine aisance financière, et de « volatiliser les flots d’or dont il eût hérité sans elle », écrit le Père Roger Sauvagnac, ancien postulateur de sa cause de béatification.
Quand le choléra frappe Marseille en 1833, sa mère l’envoie à Fribourg (Suisse), au collège Saint-Michel, tenu par les Jésuites, dont il s’imprégnera des méthodes éducatives. Puis son évêque, Mgr Eugène de Mazenod, l’envoie à Paris, au séminaire Saint-Sulpice. Des rencontres providentielles l’éveilleront aux besoins spirituels de la classe ouvrière. Au point qu’à 23 ans, quarante-huit heures avant son ordination, le 28 juin 1846, il forme le vœu qui engage toute sa vie : « Me porter constamment et de toutes mes forces à la sanctification des ouvriers, grands ou petits, que la Providence m’a confiés », écrit-il.
Une fois ordonné, le Père Timon-David ouvre l’Œuvre de la jeunesse ouvrière, qu’il place bientôt sous la protection du Sacré-Cœur, dont il est un grand dévot. Face à la qualité et à l’ampleur de ce travail, Mgr de Mazenod – qui sera ensuite canonisé – le pousse à fonder une congrégation religieuse au service de cette œuvre. Le 20 novembre 1852, un texte de l’évêque reconnaît à la fois « l’Œuvre » et la Congrégation de prêtres éducateurs à son service, qui n’existera de façon stable qu’à partir de 1859. Le fondateur acquiert alors une certaine notoriété. Une foule de directeurs d’œuvres de jeunesse viennent à Marseille voir son travail, tandis que lui-même met sa méthode d’éducation par écrit.
Jeu, prière, exigence et tendresse
Celle-ci n’a qu’un seul but : « Que, loin de nous, nos jeunes gens conservent au fond de leur cœur […] une piété solide ». Dans cette perspective, parmi les moyens employés, le jeu : « Les jeunes gens même qui vous arrivent, blasés déjà par les jeux obscènes, trouveront du plaisir à se livrer à des jeux innocents, dont ils ne soupçonnaient pas le charme, et ce sera un moyen pour les retirer du vice, où l’oisiveté les a peut-être précipités ».
La prière bien sûr. À la chapelle, elle nécessite une tenue parfaite. « Faites comprendre aux enfants que c’est la présence de Notre-Seigneur qui l’exige ; que vous serez indulgents partout, excepté là. » Le Père Timon-David multiplie aussi les pratiques extérieures : « Le signe de la croix, la dévotion à l’eau bénite, au cierge bénit, au rameau bénit […], l’usage du scapulaire, des médailles, du chapelet ; la révérence pour les processions de l’Église ». Aussi le prêtre parle-t-il abondamment aux enfants : « N’eussent-ils que des doutes dans leur incrédulité, ce serait encore beaucoup d’avoir préparé, dans leur esprit, cette fente ; la foi pourra un jour y introduire ses racines ».
À ces moyens « extérieurs », le Père Timon-David ajoute aussi des moyens « intérieurs ». Visites au Saint-Sacrement, communion fréquente, confessions plusieurs fois dans le mois. À le lire, il suffit de s’y mettre : « Confions-nous en la grâce de Dieu qui veut sauver les âmes et qui a Lui-même institué les sacrements pour les sauver ; travaillons, de notre côté, avec persistance ».
Ultime moyen dont il use : une invention née d’un prêtre éducateur de la génération précédente, l’abbé Allemand, et des jésuites de Fribourg, les « associations », qui réunissent les enfants de l’Œuvre les plus solidement pieux. Elles poursuivent deux buts : la sanctification de leurs membres, et leur dévouement au service de l’Œuvre. Le liant de tout ceci étant un esprit « de foi, de pureté, d’humilité, d’obéissance, de zèle, de sacrifice ».
Derrière cette haute exigence, une tendresse infinie. « Vous trouverez [les enfants] tels que les a faits Adam déchu, ingrats, grossiers, sans sentiment, impossibles à se détourner du péché, à porter à la vertu », écrit le Père Timon-David en 1874 au Père Louis Cayol, qu’il pressent pour lui succéder. « Si vous avez la foi, vous persévérerez sans découragement, travaillant pour Dieu seul et non pour vous ; sinon vous redeviendrez égoïste, personnel, raide, tout d’une pièce, trop humainement logique, et vous vous direz : puisqu’ils ne veulent pas mieux faire, tant pis pour eux, et vous oublierez trop vite ces belles paroles de saint Paul : “Nos servos per Christum”. Le Moyen Âge disait : “Nos seigneurs les pauvres”. Voilà la foi. »
Les Pères de Timon-David aujourd'hui
Communément appelée « Les Pères de Timon-David », la Congrégation du Sacré-Cœur de Jésus est une congrégation cléricale de droit pontifical depuis 1876. Ses membres prononcent les vœux de pauvreté, chasteté et obéissance. À l’origine, un « vœu de zèle » reprenait le contenu du « vœu de servitude » du Père Timon-David. « Mais Rome l’a supprimé au motif qu’il était inutile », indique le Père Gérard Philip, actuel supérieur de la congrégation. Sous sa responsabilité, les vingt-six prêtres de sa communauté mettent leur énergie au service des deux mille jeunes des trois établissements scolaires (tenus par la congrégation à Aix-en-Provence, et à Marseille, où une de leurs écoles, Notre-Dame de la Viste, fête ses 150 ans) et des huit œuvres de jeunesse à Marseille, Béziers et Ajaccio (Corse).
Le procès en béatification du Père Timon-David a rejoint la pile des dossiers de la Congrégation pour la cause des saints depuis trente ans. L’avancée de ce dossier aidant, le Père Gérard Philip espère le moment venu un renouveau pour sa communauté. Car les prêtres vieillissent et attendent ardemment la relève, d’autant que, ajoute-t-il, « notre apostolat répond à une nécessité de société : aider les jeunes à trouver équilibre et bonheur. »